Des coléoptères

Publié le 9 Mars 2015

Le Dictionnaire de la conversation et de la lecture, édité en 1834 chez Belin-Mandar, libraire à Paris, que j’aime parcourir, nous propose un article détaillé sur les coléoptères.

Coléoptères  en vrac – Insectarium de Montréal ©Roger Puff 2014

Coléoptères en vrac – Insectarium de Montréal ©Roger Puff 2014

Relevons-en, si vous voulez bien, quelques passages.

Coléoptères, du grec koleos, gaine, étui, et pteron, aile. On a donné ce nom aux insectes à quatre ailes, dont les deux supérieures sont en forme d’étui. Cette dénomination a prévalu sur celle de vagipennes (du latin vagina, gaine, et penna, aile), sous laquelle on avait proposé de la désigner. Cette préférence est fondée sur son uniformité avec les autres termes de la nomenclature entomologique. Les coléoptères ne sont pas, dans le grand embranchement des animaux articulés, les seuls insectes dont les ailes inférieures soient recouvertes par des étuis ou élytres. Aussi les entomologistes ont-ils proposé la dénomination d’élytroptères pour réunir les coléoptères, les orthoptères et les hémiptères, qui sont tous des insectes ailés à étuis ou élytres plus ou moins développés.

A noter que dans le Nouveau dictionnaire d'histoire naturelle, appliquée aux arts, à l'agriculture, à l'économie rurale et domestique, à la médecine, etc, de Jacques Eustache de Sève, paru chez Deterville en 1816, on traite aussi par opposition des insectes anélytres, sans étui. Jacques Eustache de Sève écrit :

Ceux qui ont les ailes membraneuses, ou plus ou moins pellucides, forment dans la méthode de Linnæus une section (les gymnoptères), qui renferme trois ordres : les névroptères, les hyménoptères et les diptères.

Et pour les élytroptères, il parle d’ailes supérieures "plus ou moins crustacées ou coriaces". Ce qui nous rappelle que crustacé vient de crusta, la croûte. Oui on peut casser la croûte avec un homard. Quant à coriace, cela vient de corium, le cuir.

Revenons à notre dictionnaire, où l’article est signé Laurent. Je n’en sais pas plus sur lui.

Parmi les animaux de ce grand groupe, les coléoptères sont les plus nombreux et les mieux connus. Ils constituent le cinquième ordre de la classe des insectes, dans la classification de Monsieur Latreille.

Et bien rapportons nous à Gilles Boeuf, actuel président du Muséum national d’Histoire naturelle, qui nous disait récemment dans un article intitulé "La planètes des insectes" :

A eux-seuls, les coléoptères représentent aujourd’hui 400 000 espèces soit 40 % du nombre d’espèces d’insectes. Un être vivant sur quatre connus aujourd’hui est un … coléoptère, ce qui avait provoqué la célèbre réplique d’Haldane, « … si Dieu existe, il aime les coléoptères… ! ». Les grands ordres ensuite en nombre d’espèces sont les lépidoptères (175 000), les diptères (153 000), les hyménoptères (115 000 dont 12 000 fourmis !) et les hémiptères (90 000). Les orthoptères viennent loin derrière avec 25 000, puis les trichoptères avec 13 000 espèces. »

Mais qui est ce Haldane ? Un généticien britannique - né à Oxford en 1892 et mort en Inde en 1964- qui aurait effectivement dit « Dieu, s'il existe, a un penchant démesuré pour les coléoptères » traduction de « God has an inordinate fondness for beetles », compte tenu du nombre important d'espèces de ce groupe taxonomique sur Terre par rapport aux autres espèces.

Ceci dit d’autres ont attribué la phrase à Charles Darwin, mais qu’importe, c’est vrai les coléoptères sont les plus nombreux, et, cerise sur le gâteau, ils sont effectivement très beaux.

Ouvrons les élytres et envolons nous ©Roger Puff

Ouvrons les élytres et envolons nous ©Roger Puff

Le Dictionnaire poursuit :

Les formes singulières et le volume de leur corps, les couleurs brillantes et agréables qu’offrent plusieurs de leurs espèces, la consistance plus solide de leurs téguments, qui rend leur conservation plus facile, leur ont mérité l’attention des naturalistes. Leurs caractères sont : quatre ailes, dont les deux supérieures crustacées en forme d’écailles, horizontales, et se joignant au bord interne par une ligne droite, les deux inférieures pliées seulement en travers, recouvertes par les précédentes ; des mandibules et des mâchoires nues et libres, d’où le nom d’éleuthérates (du grec eleutheros, libre), donné à ces insectes par Fabricius ; antennes de formes très variables, en général composées de onze articles ; yeux à facettes au nombre de deux, point d’yeux lisses ; dans quelques espèces, les élytres, soudés sur la ligne médiane, forment une sorte de bouclier ; les ailes inférieures manquent alors. Quelquefois les élytres sont rudimentaires, mais ils ne manquent jamais complètement.

Le Dictionnaire continue sur le nombre d’articles du tarse variant de 3 à 5 et la classification qui en découle. Il décrit les changements de forme (métamorphoses) de la larve à l’insecte parfait, en passant par la nymphe. J'abrège. L’article se prolonge sur les nuisances de ces coléoptères :

Charançons - boite de coléoptères  Collection IPLB ©Roger Puff 2015

Charançons - boite de coléoptères Collection IPLB ©Roger Puff 2015

Parmi ces insectes, quelques espèces (calandres) sont très nuisibles par les ravages qu’elles font aux différentes graines, en rongeant la substance farineuse ; d’autres (anthrènes, dermestes) attaquent les pelleteries et toutes les substances animales. D’autres encore (cétoines, criocères, chrysomèles, etc.) rongent les feuilles des plantes. ; enfin, la substance même du bois n’est pas épargnée par les capricornes, les leptures, etc. Mais tous ces insectes ne sont le plus souvent nuisibles que dans l’état de larves. Il en est de même à l’égard de certains coléoptères qui nous font des dommages, en attaquant soit les larves et les nymphes des abeilles que nous cultivons, soit les cochenilles. Ce sont toujours les larves des clairons apivores et des coccinelles qui nous les font éprouver. Les insectes parfaits ne sont point malfaisants. Ils n’excitent la sollicitude des agriculteurs qu’à cause de la ponte.

Le clairon apivore (trichodes apiarus) ou clairon des abeilles, également surnommé "loup des abeilles" s’introduit dans les ruches faibles pour s’attaquer au couvain.

Ils sont partout :

Les coléoptères sont répandus avec profusion. On en rencontre partout, sur la terre ou sur le sable, dans la fiente des animaux, sous les pierres, dans la terre, à la racine des plantes, dans les troncs des arbres morts ou vivants, dans les charpentes, les boiseries, dans les cadavres frais ou desséchés, dans l’eau ou à sa surface ; on en trouve aussi sur les fleurs ou sur les feuilles des plantes.

Mais attention, sont-ils dangereux pour nous ?

Cicindèles – boite de coléoptères Collection IPLB ©Roger Puff 2015

Cicindèles – boite de coléoptères Collection IPLB ©Roger Puff 2015

Aucun coléoptère n’est armé d’aiguillons venimeux pour piquer l’homme et les animaux domestiques ; cependant quelques uns, tels que les scarites, les carabes, les cicindèles, mordent ou pincent fortement, lorsqu’on les saisit. Les buprestes passent pour être dangereux aux bœufs qui en avalent, l’action toxique des cantharides ingérés est très connue.

On en mangeait déjà il y a bien longtemps et sans besoin d’appliquer le règlement européen Novel Foods CE n°258/97 (oui mais en Gaule, Obélix préférait les sangliers) :

Les Romains nourrissaient avec de la farine plusieurs larves de coléoptères, appartenant, à ce qu’on croit, aux genres lucanes et capricornes, pour les servir sur leurs tables. Les Indiens et les Américains préparent avec les larves du charançon palmiste des mets qu’ils mangent avec délices.

Les médecins en avaient selon le Dictionnaire guère l'usage :

Si l’on excepte la cantharide vésicatoire et le milabre de la chicorée, qui en Chine et dans tout le Levant sont employés de la même manière, aucun coléoptère n’est utile à la médecine ni aux arts.

La cantharide officinale, Lytta vesicatoria, de la famille des méloïdés, ou mouche cantharide, contient une substance, la cantharidine, très toxique, vésicatoire, qui brûle la peau et les yeux. Mais elle a aussi des propriétés aphrodisiaques, que prisait le Marquis de Sade. Le mylabre de la chicorée, également un méloïdé, contient également cette substance. Cela étant, Roland Lupoli, dans son ouvrage L’insecte médicinal (Editions Ancyrosoma, 2010) montre que bien d'autres coléoptères sont ou ont été utilisés en médecine traditionnelle. Par exemple, le lucane :

Lucanes – boite de coléoptères Collection IPLB ©Roger Puff 2015

Lucanes – boite de coléoptères Collection IPLB ©Roger Puff 2015

Lucanus cervus, le lucane cerf-volant était employé comme diurétique et contre l’hydropisie (œdème lié à une insuffisance cardiaque), la goutte, les problèmes rénaux et les rhumatismes. Il était administré en poudre après avoir séché les insectes au soleil. Après cuisson avec un onguent approprié, il avait une action antalgique contre les douleurs nerveuses et les convulsions. En décoction dans l’huile il agissait contre les douleurs d’oreilles. L’huile de lucanus et le scorpion ensemble guérissaient l’épilepsie des enfants et facilitaient les accouchements difficiles (Virey, 1811 ; Goureau, 1872).

Inutile aux arts ? Et à l'artisanat s'entend... Pourtant le Dictionnaire s’étend sur l’usage des coléoptères dans la parure. Un art mineur ? Qu'en pensent nos joailliers de la Place Vendôme ?

Carabes– boite de coléoptères Collection IPLB ©Roger Puff 2015

Carabes– boite de coléoptères Collection IPLB ©Roger Puff 2015

Cependant les couleurs brillantes et métalliques de plusieurs genres (cétoines, buprestes, quelques charançons, carabes) pourraient être substituées pour l’éclat, dans des ouvrages de bijouterie, à l’or, à l’argent et aux pierres précieuses. Les couleurs vert-doré, azur et pourpre du charançon royal font un tel effet que quelques amateurs en ont fait monter des bagues. Plusieurs de ces insectes servent d’ornement et de parure aux Indiens ; leurs femmes s’en font des colliers, des pendants d’oreilles et des guirlandes.

Nous avons dans cet article déjà parlé du nombre d'espèces d’insectes avec Gilles Bœuf, mais le Dictionnaire avait lui aussi des chiffres à donner :

Le nombre des espèces de coléoptères est si considérable qu’il s’élevait en 1824 à 6 692 dans la collection de M. le Cte Dejean, l’une des plus riches de notre époque ; depuis , ce nombre s’est encore augmenté de beaucoup.

Des coléoptères

Le Comte Dejean ? Un Picard ! Pierre François Marie Auguste, 2ème comte Dejean (1780 Amiens - 1845 Paris) fut général dans les armées de Napoléon 1er ; il devint entomologiste après la fin de sa carrière militaire, spécialiste des coléoptères, et surtout des Carabidae. Il avait la plus grande collection privée –22 000 espèces identifiées selon le catalogue final - avec des spécimens du monde entier. Il présida la société entomologique de France en 1840. Sa collection a malheureusement été dispersée;

Selon l’OPIE, sur les 35 200 espèces de coléoptères dénombrées en France, les coléoptères en représenteraient 9 600 (24%). Pour d’autres sources, il y en aurait 10 500, voire 11 400. Jean Sainte Claire Deville (1870-1932), le fis du chimiste, les estimait à 8 500 environ dans les années 20-30. Faudrait savoir ! On en découvre donc encore tous les jours. Au niveau du monde, notre président d’honneur me disait en août 2014 que sur 1 million d’espèces, la moitié était des coléoptères…

Mais on est peut être bien loin du compte : l'entomologiste Terry Erwin, de la Smithsonian Institution à Washington, évalue à 8 millions le nombre d'espèces de coléoptères inféodés aux canopées, puis, les coléoptères constituant 40 % de la diversité de ce peuplement entomologique, à 20 millions le nombre d'espèces d'insectes vivant dans la seule canopée des forêts… Jusqu’où ira-t-on ?

N.B. Collection IPLB (Institut polytechnique LaSalle Beauvais)

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