Monde cruel

Publié le 31 Janvier 2016

C’est un extrait de l’article « Insectes » du Dictionnaire raisonné d’histoire naturelle contenant l’histoire des animaux, des végétaux et des minéraux, etc. que j’aimerais vous présenter aujourd’hui.

A l’époque un grand titre n’arrêtait pas le lecteur car je ne vous en ai donné qu’à peine le quart.

L’auteur en est Jean-Christophe Valmont de Bonmare (1731-1807), naturaliste français aux multiples titres parmi lesquels je ne retiendrai que Directeur des Cabinets d'Histoire Naturelle, de Physique, etc. de S. A. S. Monseigneur le Prince de Condé à Chantilly, poste qu’il avait accepté en 1769. L’ouvrage est paru chez Brunet à Paris et il s'agit de la « nouvelle édition revue et considérablement augmentée par l’auteur » parue en 1775.

L’ouvrage est consultable en ligne sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France.

L’article « Insectes » compte une quarantaine de pages. Les lignes que je vous propose sont tirées du chapitre « Ruses, ravages, armes & combats des Insectes, soit pour leur défense, soit pour leur nourriture ». J’y ai fait quelques corrections pour donner l’orthographe moderne, mais j’ai laissé les & pour la couleur locale, si j’ose dire.

hanneton commun ©Naturatopia (Thierry Frayon)

hanneton commun ©Naturatopia (Thierry Frayon)

" Tous les insectes, si l'on en excepte un très-petit nombre, sont cruels & voraces, & nuisent à tous les animaux, même à l'homme. Les Histoires sacrées & profanes font remplies d'exemples de peuples qui ont été contraints d'abandonner leur pays natal pour avoir été trop incommodés par les sauterelles, par les scorpions, par les scolopendres, ou par les punaises, les puces, les araignées, les abeilles. Le scarabée des maréchaux dégorge de toutes ses articulations une liqueur grasse & visqueuse, dont l'odeur fait enfuir tous les Insectes qui approchent de lui. Chaque espèce sait détruire à sa manière les différentes productions de la terre. Des légions de chenilles & de larves ravagent en peu de temps les prairies ; une espèce dévore les racines du houblon, une autre les fleurs, une autre perce les habits; les tipules rongent les plantes qui commencent à naître dans les campagnes ; d'autres insectes se forment dans l'intérieur des feuilles des sentiers & des galeries : les insectes appelés gribouri par les Vignerons, & la bêche, détruisent les ceps en hiver & les raisins en été ..."

charançon éperonné ©Naturatopia (Thierry Frayon)

charançon éperonné ©Naturatopia (Thierry Frayon)

"... les charançons consument les blés dans les épis ; le perce-oreille & la larve du hanneton détruisent les herbes potagères ; la chenille ravage les choux; le ver à soie les feuilles de mûrier ; la chrysomèle les asperges ; le scarabée dissèquent les peaux & les viandes. Quelques-uns qui font ordinairement remplis de différentes larves de mouches & d'insectes à étuis, n'attaquent & ne dévorent que les animaux morts, & dont les chairs commencent déjà à fermenter. Une autre espèce de scarabée, & particulièrement la vrillette, réduit en poussière les tables des maisons & les différents meubles de bois. Sa larve logée dans l'intérieur des vieux arbres, les ronge & les réduit en une espèce de tan, dans lequel elle se transforme & y bat comme une montre de poche. La mite gruge le fromage & la farine, &c. Il suffit de nommer les punaises de Paris, les tarentules de la Pouille, les scorpions d'Afrique, les cousins de la Nord-Hollande, les chiques d'Amérique, les taons de la Laponie, les grillons des cabanes des villages, les mites de la Finlande, la vermine des enfants, les cirons qui tracent des sillons dans la chair humaine, les chenilles qui désolent les arbres fruitiers, & les teignes qui rongent les étoffes. L'araignée entortille par la contexture admirable de ses fils, l'insecte qu'elle attend souvent pendant une journée pour en faire sa proie ; mais elle tombe à son tour entre les griffes de la guêpe ichneumone son ennemi capital. L'emérobe ou phryganée dans son premier âge se trouve avec les poissons ses plus cruels ennemis ; mais il se couvre tout le corps d'atomes sablonneux & de feuilles pour tromper l'avidité de ses ravisseurs : en le voyant étendu sur les eaux, on le prendrait pour un très-petit morceau de bois pourri, & non pour un animal vivant qui devient mouche sur le soir : d'autres insectes savent se raccourcir ou paraître au besoin plus grands qu'ils ne font effectivement, parce que leur corps est composé de pattes qui s'allongent en se dépliant, ou se raccourcissent en rentrant les unes sur les autres, comme faisaient les brassarts & les cuissarts dans nos anciennes armures."

punaise des céréales ©Naturatopia (Thierry Frayon)

punaise des céréales ©Naturatopia (Thierry Frayon)

" La tortue (cassida), & la chrysomèle qui a le cou comprimé, marchent sous le masque, tout couvertes de leurs excréments, pour n'être point reconnues des oiseaux : les larves des cigales bedaudes se cachent sous leur propre écume : la punaise à museau pointu a le corps tout couvert de brins de toute espèce, & pour mieux se déguiser, marche tantôt d'une façon , tantôt d'une autre, de sorte qu'à force de se masquer ainsi, de fort bel insecte qu'elle était, elle devient plus hideuse qu'une araignée.

La teigne d'où naît un phalène ou papillon nocturne, se loge dans le tissu le plus fin des tapisseries, des étoffes, même dans les peaux emplumées, afin de les ronger à son aise ; & comme elle est très-susceptible d'accroissement, elle fait élargir sa demeure aux dépens de l'étoffe. "

fourmilion ©Naturatopia (Thierry Frayon)

fourmilion ©Naturatopia (Thierry Frayon)

" Le formica-leo demeure dans le sable, vit sans boire, se contente d'une très légère nourriture, se cache dans la terre par la crainte qu'il a des oiseaux, & se tient au centre d'une petite fosse qu'il creuse dans un sable sec & mobile, & qu'il façonne en forme de cône renversé. Les fourmis qui passent par-là, tombent dans le trou & deviennent la proie de l'animal qui s'y tient caché. La mouche, malgré son vol étourdi, sa structure délicate & ses membres déliés, est destinée évidemment par la Nature à être aussi la proie du fourmilion. Ce prédateur a en partage la ruse, la force & la vigilance.

Le pou de bois, improprement appelle pou pulsateur, se tient dans le vieux bois & dans les livres ; il y entre par les trous que des vers ont faits, & y fait encore de plus grands dégâts.

Le puceron qui se nourrit de plantes est dévoré par certaines mouches : le taon détruit ces mouches : les demoiselles font la guerre aux taons, & celles-ci sont la proie des araignées ; le perroquet d'eau qui se plaît dans l'eau corrompue sert de nourriture aux moucherons, ceux-ci aux grenouilles, etc. le papillon nocturne est mangé par la chauve-souris.

La blatte, nommée kacherlacki à Surinam, court la nuit pour butiner, dévore les souliers, les habits, les viandes, & surtout le pain, dont elle ne mange que la mie. Cet animal qui croît aussi à la Martinique, y est appelé ravet ; il ronge les papiers, les livres, les tableaux & les hardes ; il gâte par ses ordures & sa mauvaise odeur tous les endroits où il se niche : comme il vole partout, & plus la nuit que le jour, il se prend dans les toiles de la grosse araignée appelée phalange. Celle-ci fond sur ces blattes d'une manière surprenante, les lie avec ses filets, & les suce de telle manière, que quand elle les quitte il ne reste plus rien que leur peau & leurs ailes bien entières, mais sèches comme du parchemin.

La vermine multiplie prodigieusement sur la tête des enfants galeux : quelques-uns prétendent qu'elle leur est avantageuse en ce qu'elle détruit le superflu des humeurs ; mais M. Bourgeois dit que loin de leur être utile, elle ne sert qu'à perpétuer la gale, & à y produire des ulcères, qui rendent la gale inguérissable tant que la vermine subsiste ; & on remarque les jours que les enfants attaqués de gale & de vermine invétérée, deviennent maigres , pâles & cacochymes ; d'ailleurs la petite quantité d'humeurs que les poux consument ne saurait leur procurer un avantage réel & sensible.

Au reste tout ceci démontre que les insectes ont presque tous des goûts exclusifs."

Après un tel étalage d’horreur et de catastrophes, il faudra qu’une autre fois vous faire connaitre l’extrait « Utilité des insectes » tout aussi captivant.

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