Etude sur une variété nouvelle

Rappelez-vous, il y q quelques temps, je vous avais proposé un texte d'Achille Guenée sur les entomologistes. Voici un autre texte extrait du même opuscule "Les Entomologistes peints par eux-mêmes" paru en 1934 à l'Imprimerie Oberthur de Rennes.

"Les faiblesses de l'entomologiste sont aussi bien saisies par lui-même que par son entourage. Seul, il peut mesurer l'immensité de ses joies. Son respect humain, s'il en avait tant soit peu, y trouverait une large compensation aux atteintes portées sans cesse à ses ridicules.

Il y avait sans doute là des raisons suffisantes pour donner aux initiés et aux profanes une nouvelle édition d'un article, publié en 1842, par M. Achille Guenée, sous le titre : les Entomologistes peints par eux-mêmes.

Certes, depuis le temps où a été fait ce plaisant portrait, bien des choses ont changé. La vérité demeure. Les entomologistes sont restés immuablement semblables à ce qu'ils étaient autrefois. Leur passion procède toujours d'un esprit identique.

Il convient cependant d'ajouter lune nouvelle variété à celles décrites par M. Achille Guenée. L'entomologie, en effet, malgré le silence dont elle s'entoure, malgré la dignité qui est sa parure, malgré l'indifférence qu'elle professe à l'égard de la vie trépidante de nos jours, n’en a pas moins reçu l'empreinte moderne."

"Notre âge a vu naître l'entomologiste spécialiste. Il est, comme ce qualificatif l’indique, victime de cette spécialisation galvaudée dans tous les propos d'actualité. En son entier, l'entomologie est trop grande pour lui, si fervent que se montre le culte, qu'il lui dévoue. Son souci de perfection le détourne de la résumer. Aussi. afin de concilier son ardeur et son scrupule, l’a-t-il simplement divisée, réduite à une toute petite partie de sa vaste étendue.

Il collectionne une seule famille, recherchant exclusivement les types qui s'y rapportent, pour les grouper, les amasser, lutter ainsi contre le désordre de la nature qui les a disséminés de par le monde.

Peut-être rêve-t-il d'un merveilleux idéal social où tous les gens d'une même espèce vivraient ensemble et, par-là, en meilleure intelligence. Il s'attache alors à réaliser dans ses cartons l'image de cette société utopique. La contemplation de l'ordre parfait concrétisé par l'ensemble harmonieux de ses tout-petits défunts, lui est une consolation à la peine de considérer l’inextricable chaos de la vie, sans pouvoir y apporter le moindre tempérament. "

"Dans son superbe égoïsme, avec l'intérêt qu'il porte à une question unique, le spécialiste se réserve une compétence strictement bornée à celle-ci, mais indiscutable ou du moins qu'il ne souffre pas de voir contestée. S'il peut sans difficulté soumettre ses animaux à telle discipline de son choix, il regrette de constater combien leur perfection sous ce rapport l’emporte sur celle des hommes ses congénères, si dépourvus de souplesse. Malheur au collègue, indigne de ce nom, assez dénué de tact pour violer les frontières d'un domaine rigoureusement personnel et se livrer aux mêmes études ! Un conflit s'élève aussitôt entre les deux adeptes de la science ineffable, qui les divise au lieu de les unir. Et voici la spécialisation entomologique menacée jusque dans l'esprit de ses principes, puisque les discordes y invoquent le prétexte de l'harmonie !

Les concurrents ne sont pas seuls importuns à l'homme d'une catégorie. Ses autres collègues, non spécialisés, ne cessent de nourrir contre lui de noirs ressentiments. Ils l'accablent de reproches et ne lui pardonnent pas de se montrer d'une inconcevable intransigeance. Les opportunités parfois exceptionnelles de la chasse ne méritent de sa part aucune attention si elles lui présentent des sujets tant soit peu étrangers à son exclusivité. Que lui importent ceux-là ? Il ne mentira pas pour eux à la qualité du titre qu'il s'est, décerné. Viendrait-il à obtenir une pièce rare, voire unique, il ne pourra la conserver, si elle n'appartient pas à la race élue. Il lui faudra s'en défaire pour obtenir à son prix nombre d'exemplaires, sans doute beaucoup plus vulgaires, mais infiniment variés et ressortissant à sa spécialité."

"Et vous le reconnaîtrez alors, à l'entendre dire d'une voix passionnée, nuancée de quelque coquetterie :

- Non, Monsieur, des cétoines, des cétoines..., rien que des cétoines et uniquement des cétoines !"