Publié le 26 Décembre 2019
Tel est le titre d’un article sur une page du magazine Sciences et Voyages n°290 du 19 mars 1925. L’article n’est pas signé, pas plus que les gravures qui l’illustrent. Dans le coin inférieur gauche cependant un encadré fait discrètement la réclame pour un ouvrage "Entretien sur les insectes ; 100 pages illustrées : franco : 3 fr. 50". Nous savons que cet ouvrage est celui d’Alphonse Labitte, attaché au Muséum d’Histoire naturelles (Hautes-Etudes), entomologiste vulgarisateur qui a écrit une trentaine d’article pour Sciences et Voyages entre 1919 et 1925, mais habituellement signés et souvent accompagnés de photos. Nous ne lui attribuerons donc pas cet article.
Que peut-on y lire ?
"J.-H. Fabre a longuement et savamment décrit les mœurs de la Mante religieuse, mais tout le monde n’a pas eu l’occasion de lire les œuvres de ce savant naturaliste. Quelques mots et quelques figures apprendront à ceux qui les ignorent les habitudes de ce bizarre et féroce insecte."
"La Mante est un orthoptère, c’est-à-dire un insecte de la même famille que les sauterelles, les criquets et les grillons. Elle est très commune dans le Midi, plus rare dans le Centre et ne vit pas dans le Nord de la France.
Les choses ont bien changé depuis que l’entomologiste inconnu a écrit ces lignes : la Mante, Mantis religiosa, n’est plus dans l’ordre des Orthoptères, mais dans celui des Mantoptères avec ses proches cousines : Rivetina baetica, Ameles spallanziana et A. decolor, Iris oratoria et Empusa pennata, communément appelé Diablotin, présent dans le Sud de la France. Les Blattoptères ont en commun avec les Mantoptères l’oothèque dans laquelle leurs femelles pondent leurs œufs. Les pattes antérieures ravisseuses sont une caractéristique des Mantoptères. L’article nous les décrit "formidables pattes antérieures armées de dents, de crochets… ". Permettez-moi de passer sur la description du monstre.
Pour en savoir plus sur cet ordre d’insectes, je vous renvoie à un article de Nicolas Moulin "les Mantodea : synthèse sur ces insectes" paru sur le site passion-entomologie.fr. Il est attaché honoraire au Muséum national d’Histoire naturelle en charge des Mantodae, le spécialiste donc.
Autre commentaire important, aujourd’hui on trouve des mantes au Nord de la France. Elle est protégée en Ile-de-France et classée "quasi menacée" en Picardie, bien qu’elle soit de plus en plus souvent observée. Nous avons d’ailleurs l’occasion d’en photographier assez souvent dans l’Oise. Et on l’adore ce petit monstre. C’est une vraie récompense de pouvoir l’observer de près et de le photographier. De sa tête mobile et de ses grands yeux, elle suit tous nos mouvements. L’une d’elles – aux beaux yeux noirs - a passé plusieurs heures sur le support d’une lampe lors de notre dernière sortie nocturne fin août. C’était la vedette du show.
Revenons à notre article.
"En voyant la Mante cheminer plutôt lentement sur le sol, parmi les herbes rares, on ne peut se douter de la férocité de cet insecte, de sa voracité et de sa gloutonnerie. Elle va, l’œil attentif, surveillant ce qui se passe à droite, à gauche, explorant le moindre repli de terrain, la plus petite touffe de gazon. Soudain, elle aperçoit un criquet qui somnole au soleil. La mante s’approche, et, tout à coup, les dangereuses pattes antérieures s’allongent en avant et harponnent le criquet qui se débat vainement. La proie est immobilisée par les crochets et les terribles pattes dentées, puis amenée vers la tête de la mante qui la dévore encore vivante !... J’ai parlé d’un criquet, mais tout lui est bon : papillons, mouches, libellules, etc., elle prend tout, mange tout."
Rassasiée, elle s’arrête et prend la position qui lui a donné son surnom, Prega-Diou en provençal, Prie-Dieu, d’où Mante religieuse, sachant que Mante vient du latin mantis, lui-même du grec Μάντις "prophétesse, devineresse ". A noter que Carl von Linné, l’ayant assimilée aux orthoptères, l’avait initialement nommée Gryllus religiosius en 1758. Mais on la nomme aussi Tigre de l’herbe et même Cheval du Diable en Louisiane.
L’article relate que dans les campagnes, si un enfant s'égarait, une Mante rencontrée sur son chemin lui indiquerait de sa patte la bonne direction. Mais cet arthropode peut prendre bien d’autres attitudes, jugez-en :
"Notre Mante a enfin terminé ses invocations ; elle continue d’avancer lentement, quand, sur un caillou, à quelques centimètres d’elle, un inoffensif escargot tourne les cornes de son côté. Elle a vu ce mouvement, et, se croyant menacée, se met sur la défensive !... Là, elle devient terrible ! Elle s’est dressée presque debout sur ses pattes postérieures, les terribles pattes antérieures relevées, prêtes à s’abattre sur l’ennemi ! Elle a soulevé ses élytres et déployé ses ailes, faisant entendre une sorte de souffle entrecoupé et distinct !..."
L’article évoque aussi un combat entre deux individus, mais ne nous dit rien de son accouplement et du sort du pauvre mâle. Le combat décrit était-il un accouplement ? "Enfin l’une des deux bestioles est enlacée par l’autre qui l’étreint furieusement. Vaincue, elle est immédiatement dévorée". Je vous laisse libre d’interpréter ces quelques mots. En revanche l’article nous dit que la Mante est bonne mère et décrit "le nid bien soigné où elle met à l’abri sa progéniture". Il s’agit bien entendu de son oothèque.
Pour finir nous apprenons que cette oothèque fait l’objet de légendes : le tigno ou nid de Mante serait une "panacée presque universelle" (sic, pléonasme bien sûr) :
"On l’emploie contre les engelures, le mal blanc, le panaris ! Mieux que cela, si vous portez un tigno dans votre poche, vous n’aurez jamais mal aux dents !... Ainsi soit-il !... Seulement, voilà !... il y a un seulement. Pour que le nid de la Mante opère tous ces miracles, il faut qu’il soit recueilli dans certaines conditions trop longues à énumérer ! et il faut aussi, et surtout, qu’il ait été découvert dans le quartier de lune favorable !..."
Notre entomologiste en restera là.
Je vous conseille de lire le très intéressant article que Lucas Baliteau a fait paraitre en 2004 dans la revue Insectes n°133 : " La bête qui prie Dieu : la mante religieuse"