Publié le 23 Août 2015
Je suis allé récemment au Parc Jean-Jacques Rousseau à Ermenonville pour les Nuits des Etoiles, mais où on peut aussi y découvrir jusqu’à fin octobre encore une exposition consacrée à Rousseau et la botanique.
Sur un panneau, j’ai noté et je me suis permis de photographier cette citation extraite d’une lettre écrite en 1772 à Mme Delessert :
Y figure une très belle description de la structure des Ombellifères, bel exemple de géométrie fractale dans la nature… Le chou-fleur c’est pas mal non plus (comme exemple de fractale).
La famille des Apiaceae, les Ombellifères dans la classification de Cronquist de 1981, compte environ 3000 espèces en 420 genres dans le monde (d’après Wikipedia, mais sur le site de l’Université Pierre et Marie Curie, j’ai aussi trouvé 3055 espèces et 438 genres, faudrait savoir ! Où donc est la vérité ?). En France, Jean-Pierre Reduron, dans son ouvrage Ombellifères de France, paru en 2007, en dénombre 356 espèces différentes, "indigènes, naturalisées, subspontanées, adventices, cultivées ou potentielles". Parmi elles : aneth, angélique, carotte sauvage, panais sauvage, céleri, coriandre, fenouil, persil, etc.
A noter que la berce du Caucase, une espèce de très grande taille, jusqu’à 5 m de hauteur, à la sève phototoxique, introduite en Europe de l’Ouest comme plante ornementale, figure dans la liste des plantes invasives classées parmi les plus nuisibles au 21ème siècle. Le moustique-tigre est dans cette même liste. Vous voyez le problème.
Certaines Apiaceae sont utilisées pour leurs racines comestibles, d’autres pour leurs vertus aromatiques, d’autres sont des poisons violents comme la ciguë… Beaucoup ne servent à rien sauf aux insectes, et puis, ne boudons pas le plaisir des yeux : une belle et grande ombellifère, c’est élégant et esthétique, çà a de l’allure. La preuve ? Les Anglais avaient introduit la berce du Caucase aux jardins botaniques de Kew pour cette raison dès 1817.
Roland Lupoli dans un article Punaises des ombellifères de France, paru dans le magazine Insectes, édité par l’OPIE (n°93 – 1994) écrit :
"Pendant les belles journées ensoleillées, d’impressionnantes quantités d’insectes - principalement des Hyménoptères, des Lépidoptères, des Diptères et des Coléoptères - viennent butiner ces véritables "usines à nectar à plateformes molletonnée" que sont les fleurs blanches d’Ombellifères. Les Hétéroptères [les punaises] armés de leur rostre piqueur-suceur pourront prélever la sève des Ombellifères ou tirer profit de cet incessant défilé en se nourrissant des pollinisateurs eux-mêmes, ou plus tard des fruits issus de la pollinisation et de la fécondation des fleurs."
Vous aurez compris mon attrait pour les ombellifères : les insectes en nombre qui s’y pavanent longuement me permettent quelques photos. Qui plus est, comme les plantes sont plutôt hautes, je n’ai même pas besoin de beaucoup me baisser…
Spots de chasse connus de longue date des insectophiles comme on disait jadis, en effet, dans son Traité élémentaire d’entomologie (1873), Maurice Girard écrit à l’attention des chasseurs d’insectes :
"La floraison des Ombellifères commence l’époque du grand développement des Hyménoptères et des Diptères, et ces plantes offrent également des Coléoptères actifs et volants. "
Pourquoi cette attirance de la part des insectes ? Dans son livre La lutte biologique : vers de nouveaux équilibres écologiques (Editions Quae, 2010), dans un chapitre traitant des auxiliaires, ces insectes qui aident le jardinier ou la cultivateur dans leur lutte sans insecticides contre les ravageurs, Lydie Suty écrit :
"Les plantes de la famille des ombellifères sont particulièrement attirantes pour un grand nombre d’auxiliaires. Plusieurs espèces de guêpes parasitaires possèdent des parties buccales courtes et ne peuvent qu’atteindre les glandes nectarifères bien exposées, ce qui est le cas des ombellifères. Dans une étude sur la préférence de la guêpe parasitaire Itoplectis conquisitor, qui attaque les larves du carpocapse de la pomme, Leius (1962) a observé que l’insecte préférait le panais sauvage à toute autre plante comme source de nectar".
Dans un bref article du magazine Insectes (OPIE n°160 – 2011) je lis à propos du fenouil sauvage :
"Garde-manger des syrphes, des chrysopes, des mouches, des punaises, et bien entendu plante de prédilection du machaon, qui y dépose ses œufs et dont la chenille raffole des feuilles aciculaires, étroites lanières tout en longueur et groupées en touffe."
Je n’ai pas de photo de Machaon à vous proposer, il faudra vous contenter de ce Petit Nacré.
Les insectes visiteurs de l’ombellifère, attirés par son nectar, vont pouvoir transférer le pollen entre les fleurs voisines d’une même inflorescence, ou celles d’une autre ombelle. Donc toute cette armada de bestioles vient sur les ombellifères pour se délecter de leur nectar, polliniser ou trouver ses mets préférés, fruits ou autres insectes proies.
Beaucoup en profitent bien sûr pour se reproduire ayant trouvé l’âme sœur sur ce forum bien fréquenté.
"Toute ombellifère à odeur fétide est suspecte ; toute ombellifère à odeur forte et aromatique st innocente. " Voilà ce que note Antoine Laurent Apollinaire Fée dans son Cours d’Histoire naturelle pharmaceutique, publié en 1828, mais il traite de substances vénéneuses, voire mortelles ou thérapeutiques et non de l’attirance des mouches. Il parle de principe vireux, avéré dans des végétaux toxiques d’odeur ou de saveur nauséabonde. Les ombellifères dégagent quasiment toutes une odeur plus ou moins forte, surtout au niveau des feuilles, des tiges et des racines, dont ont extrait des huiles essentielles. Les fleurs proprement dites seraient en général inodores ou peu odorantes, susceptibles néanmoins, il me semble, d’attirer les insectes.
Certaines ombellifères peuvent dégager une odeur fétide, y compris la coriandre cultivée, une plante aromatique et médicinale. En effet après dessiccation l’odeur est plutôt agréable. La plante tiendrait son nom du grec κόρις / kóris, qui signifie "punaise", mais ce serait controversé. Je n’entrerai pas dans ces polémiques.
Pour la ciguë, Fée parle d’odeur extrêmement forte et à propos de l’infusion, d’odeur nauséeuse. La férule assa-foetida (cela veut tout dire) a une odeur alliacée, très fétide et très tenace. La férule ammonifère a une odeur rappelant celle du galbanum, mais moins désagréable. Le galbanum, c’est la férule gommeuse, qui a des fleurs jaunes dégageant une odeur déplaisante et que l’on trouve en Iran, Turquie, Turkménistan ; sa gomme-résine est utilisée pour la préparation d’encens ; elle entrait aussi dans la préparation de la thériaque, un célèbre contrepoison. Quant à l’angélique, toute la plante a une odeur forte, aromatique et agréable, comme son nom l’indique. Un ange ne peut être que délicieusement parfumé …
Bref je m’arrête là pour les propriétés des ombellifères, sinon nous n’en sortirons pas de sitôt. Je ne vais tout de même pas vous faire un cours de phytothérapie ou d’aromathérapie. Je suis là pour parler d’insectes, non ?
Revenons donc, si vous le voulez, bien à Jean-Jacques Rousseau et aux insectes.
Les insectes n’apprécient pas que les plantes en pleine floraison. Ils aiment aussi se repaître des herbes séchées dans les herbiers et peuvent en peu de temps ravager le patient et méticuleux travail de l’herborisateur.
Rousseau, herborisateur, avait une bonne recette :
"Pour garantir votre herbier des ravages qu’y feraient les insectes, il faut tremper le papier sur lequel vous voulez fixer vos plantes dans une forte dissolution d’alun, le faire bien sécher, etc. "
La citation est tirée du Dictionnaire élémentaire de Botanique de Bulliard, revu par Richard (Paris, 1802) au mot Herbier, et, selon l’auteur, serait extraite d’un manuscrit de Rousseau… (in Œuvres complètes – 93 titres de Jean-Jacques Rousseau - Arvensa Editions, 2014). Petit complément d’information : l’alun ordinaire est un sulfate double d’aluminium et de potassium (KAl(S04)2, 12 H2O).
Une autre recette s’appliquait aux végétaux plutôt qu’à leur support : elle préconisait de traiter les plantes en les trempant dans une solution alcoolique de sublimé corrosif, c’est en tout cas ce que je lis dans le Dictionnaire d’Histoire naturelle de Rey et Gravier publié en 1825 (NdR. traduit en petit chimiste moderne le sublimé corrosif c’est du chlorure mercurique, HgCl2)
En revanche Rousseau ne semble pas avoir eu une grande considération pour les insectes ; en effet, il écrit pour la Septième Promenade des Rêveries du promeneur solitaire :
"Le règne animal est plus à notre portée et certainement mérite encore mieux d’être étudié. Mais enfin cette étude n’a-t-elle pas ses difficultés, ses embarras, ses dégoûts et ses peines. […] Je passerais ma vie à me mettre hors d’haleine pour courir auprès des papillons, à empaler de pauvres insectes, à disséquer des souris quand j’en pourrais prendre […] Ce n’est pas là, sur ma parole, que Jean-Jacques ira chercher ses amusements. "
Je vous ai fait grâce des cadavres puants, des squelettes affreux et des vapeurs pestilentielles… Manifestement notre philosophe préférait, et de loin, le règne végétal… Pour lui (je picore dans ses écrits) les insectes étaient méprisables, dévoraient la verdure, rongeaient les plantes, etc. Il devait détester ces ravageurs d’herbiers.
Tiens puisque qu’au Parc Jean-Jacques Rousseau, il y a eu les Nuits des Etoiles, une autre citation, celle-ci extraite de l’Emile. Elle traite d’insectes et de microscope, de taches du soleil et de télescope :
"Emile ne saura jamais la dioptrique, ou je veux qu’il l’apprenne autour de ce bâton. Il n’aura point disséqué d’insectes ; il n’aura point compté les taches du soleil ; il ne saura ce que c’est qu’un microscope et un télescope. Vos doctes élèves se moqueront de son ignorance. Ils n’auront pas tort ; car avant de se servir de ces instruments, j’entends qu’il les invente, et vous vous doutez bien que cela ne viendra pas de si tôt. "
Donc une exposition "Rousseau et l’entomologie" n’est sans doute pas pour demain. J’en parlerai tout de même un jour aux responsables du Parc d’Ermenonville. On ne sait jamais et de toute façon il est permis d’en rêver, qu’on soit solitaire ou en association.