Publié le 19 Janvier 2017
La lecture de la République de l'Oise, journal paraissant à Beauvais, me fait découvrir le compte-rendu d'une conférence publique donnée le 17 mars 1902, avec projections, salle de la Justice-de-Paix de l'Hôtel de Ville, dans le cadre du Cercle laïque d'Education morale, une université populaire locale très active à l'époque.
La vie des insectes sociaux passionne et Maurice Maeterlinck vient à peine de publier chez l’éditeur Fasquelle sa Vie des Abeilles. La Vie des Fourmis ne paraitra qu’en 1926 et la Vie des Termites qu'en 1930.
Conférence de Mme Hubert Bourgin
Mme Hubert Bourgin, professeur au Collège Jeanne-Hachette, l’aimable femme du dévoué secrétaire du Cercle laïque, a fait hier soir, dans la salle de la Justice de Paix, une jolie et intéressante conférence sur les insectes et notamment sur les insectes travailleurs, abeilles et fourmis.
Avant d’aborder le sujet traité, nous devons faire remarquer que le Cercle laïque n’a presque rien à envier aux universités populaires de Paris, car il a non seulement ses artistes lyriques et dramatiques, mais aussi ses conférenciers et conférencières.
Après Mlle Lefèvre, dont la conférence parlée et chantée a eu un beau succès bien mérité, c’est Mme Hubert Bourgin, qui a parlé pendant plus d’une heure avec une facilité étonnante et une verve abondante, une précision et une correction parfaites, enfin un réel talent de causeuse délicate et spirituelle, car la conférence toute scientifique qu’elle était, était émaillée de réflexions et d’observations fort justes, pleines d’à-propos.
Voici très succinctement le résumé du sujet traité.
Les mœurs des insectes sont intéressantes en elles-mêmes par la façon dont ces petits animaux accomplissent les actes de leur vie, et intéressantes pour nous par les manifestations d’intelligence qu’elles présentent.
Pour bien comprendre les actes des insectes, il est nécessaire de connaître l’organisation générale d’un insecte. C’est un animal dont le corps se divise en trois parties : la tête qui porte les yeux, les antennes, organes du toucher et de l’ouïe, et la bouche aux mandibules puissantes comme chez le cerf-volant, ou allongées en trompe comme chez le papillon et l’abeille ; le thorax portant les ailes, et les pattes disposées pour courir, sauter, nager ou fouir le sol ; enfin l’abdomen qui n’a point d’appendices. Un tel animal est très vivant, très agile et peut accomplir des actes variés. Il ne nait d’ailleurs pas sous cette forme ailée, mais sous la forme d’une larve, semblable à un ver, qui mange beaucoup, puis s’enveloppe d’un cocon d’où sort, après un temps plus ou moins long, l’insecte parfait.
Au point de vue de l’intelligence, on peut diviser les insectes en deux groupes : les insectes isolés et les insectes vivant en société.
Les insectes isolés usent souvent de procédés ingénieux pour rechercher leur nourriture, tel le récluse masqué qui, pour guetter les punaises des lits dont il se nourrit, s’enveloppe de poussière ; ils savent aussi assurer à leurs œufs, qui éclosent quand les parents sont morts, l’abri et la nourriture appropriée, - par exemple, certains insectes déposent leurs œufs dans le corps d’une chenille dont les jeunes larves se nourriront. Mais tous ces actes se reproduisent de même pour les mêmes espèces ; ils semblent avoir un caractère un peu mécanique ; cependant quelques preuves de progrès ont pu être observées.
Les insectes vivant en société, au contraire, nous montrent beaucoup d’actes raisonnés. Ces insectes sont : les abeilles, que nous trouvons très bien étudiées, sous une forme philosophique et poétique, dans la Vie des Abeilles de Maurice Maeterlinck, et les fourmis, au sujet desquelles M. Charles Janet, zoologiste beauvaisien, a donné de sûrs et nombreux documents.
Chez les abeilles comme chez les fourmis, la recherche de nourriture et l’élevage des jeunes sont accomplis par la communauté, où le principe de la division du travail est appliqué. Les actes instinctifs se produisent comme chez les insectes isolés, mais plus souvent que chez ces derniers. On voit des actes provoqués par des causes inattendues et que les hommes ne désavoueraient pas : par exemple, le fait de redresser une ruche ou une fourmilière dont l’équilibre a été accidentellement détruit par un tampon de cire ou de terre à la partie inférieure ; et bien d’autres faits du même ordre.
Dans la société des abeilles, l’individu est complètement sacrifié à la communauté, à l’esprit de la race ; dès qu’il est malade, donc hors d’usage, il est rejeté. Chez les fourmis, au contraire, plus de place est donnée à l’initiative de chacune, et les malades sont soignées par leurs compagnes.
L’étude des mœurs de ces différents insectes nous fait donc voir l’intelligence en dehors de nous et nous fait assister au développement intellectuel se produisant plutôt dans les sociétés que dans l’isolement.
De plus ces intéressantes bêtes peuvent nous présenter un exemple salutaire ; car on peut imaginer une société qui unirait au dévouement des abeilles, pour leur race et leurs générations futures, la personnalité et la sensibilité des fourmis, et cette société pourrait être l’idéal d’une société humaine
Les auditeurs ont pris grand plaisir à entendre une aussi gracieuse et aussi intéressante conférencière et le lui ont témoigné maintes fois par de chauds applaudissements.
Des projections lumineuses sur l’anatomie des insectes, ont complété cette conférence aussi utile qu’intéressante qui fait honneur au talent de Mme Hubert Bourgin.
signé André Dély
Le République de l'Oise mars 1902
à partir du journal microfilmé aux Archives départementale de l'Oise
N.B. J'aurais aimé prendre connaissance du texte original de la conférence de Madame Bourgin, hélas ! On ne sait pas où le trouver.