Publié le 26 Septembre 2017
Jeudi 14 septembre, le photographe Jean-Pierre Bertrand était le conférencier invité pour notre 14ème réunion trimestrielle, qui cette fois-ci se tenait à Rieux.
Un public où se retrouvaient quelques photographes d’insectes qui venaient découvrir ces petits arthropodes à 6 pattes, qui ne sont plus classés parmi les insectes.
Après une courte introduction, Jean-Pierre nous a projeté, en avant-première la vidéo de 4’58 « La litière du sol, un univers inconnu » qu’il a réalisé en milieu naturel – la forêt de Halatte - avec Patrick Bodu pour le montage et les vues d’ensemble. C’est Claudine Guittet qui a écrit et dit le commentaire. Avant-première en effet, car la vidéo sera présentée le 15 octobre prochain au Festival international Nature à Namur
Après la projection de la vidéo, que nous avons vraiment beaucoup appréciée et que nous espérons voir récompensée à Namur, Jean-Pierre a poursuivi avec ses photos sur la description et le mode de vie extraordinaire des collemboles : alimentation, longévité, reproduction, etc.
La classification distingue aujourd’hui dans la classe des Hexapodes :
- La sous-classe des Insectes
- La sous-classe des Entognathes (signifiant pièces buccales internes, encloses dans une poche sous la tête) comprenant :
- Protoures
- Diploures
- Collemboles
Ces trois sous-classes étaient autrefois dénommées insectes aptèrigotes, au côté des thysanoures, toujours classés insectes (dont le lépisme ou poisson d’agent).
Les collemboles sont très anciens, ils existaient déjà au Dévonien (400 millions d’années), sans doute avant les insectes, ce que montrent les fossiles trouvés.
Comme les insectes, les collemboles ont bien 6 pattes, un corps en 3 parties, 2 antennes segmentées. Les extrémités des pattes sont munies de griffes. Le thorax ne se distingue pas aussi bien que chez les insectes.
Les collemboles n’ont pas d’ailes (aptèrygotes) et surtout ont un appareil buccal (mandibules et maxilles), caché dans une cavité appelée la capsule céphalique (entognathe).
Sinon ils ont bien un corps en 3 parties et 2 antennes.
Ils n’ont pas des yeux à facettes, mais de simples ocelles, 1 à 8, regroupées ou non.
En plus ils possèdent deux organes tout à fait originaux : la furca et le collophore :
- La furca, espèce de fourche sous le corps, leur permet de se projeter très rapidement en se détendant brusquement vers l’arrière. Ce saut leur permet d’échapper à un prédateur ou d’échapper à un milieu, par exemple l’eau d’une ornière. La direction du saut n’est pas contrôlée, c’est un mécanisme de fuite et de survie. On l’observe surtout quand, en soulevant la feuille sous laquelle ils s’abritent, on les met en pleine lumière. Ils n’aiment pas : ils sont lucifuges. Jean-Pierre nous a présenté quelques vidéos montrant la rapidité extraordinaire de leur saut.
- et un tube ventral, le collophore, dont les fonctions sont encore discutées. Plusieurs hypothèses : il leur permettrait de rester accroché aux surfaces lisses, de respirer via sa mince paroi, il aurait une fonction de régulation de la teneur en eau dans leur corps (le plus souvent évoqué), il pourrait servir à la réception après le saut, il permettrait en s’allongeant au collembole de se nettoyer. Jean-Pierre dit avoir observé cette fonction de toilettage.
Les collemboles sont répandus partout et il en existe entre 8 000 et 50 000 espèces, dont 1 000 en France.
Quelques photos nous montrent que leur corps peut être couvert de poils, ou d’écailles ou encore lisse et orné de dessins.
La reproduction des collemboles est, suivant les espèces :
- sexuée (mâle et femelle) - ce qu’illustre la photo d’une parade d’accouplement de l’espèce Sminthurides parvulus, mais le dépôt d’un spermatophore par le mâle permet à la femelle d’être fécondée en s’y frottant,
- ou asexué (parthénogénèse).
Certaines espèces se reproduisent en utilisant les deux modes. Les œufs sont déposés sur un substrat humide, isolés ou en paquet. Les quantités dépendent de la disponibilité de nourriture du site.
Les collemboles ne subissent pas de métamorphoses. La croissance se poursuit tout au long de la vie et se fait par mues successives, de 40 à 50 selon les espèces. Le stade adulte apparait après 4 ou 5 mues. Les collemboles vivent en général moins d’un an. Le record de longévité observé en laboratoire est de 5 ans et 7 mois.
La grande majorité des espèces sont saprophages, c’est-à-dire qu’elles se nourrissent de matières en décomposition. Les champignons, hyphes mycéliens, semblent être leur nourriture préférée. Certaines espèces se nourrissent de végétaux vivants, notamment Smithurides viridis, appelé puce de luzerne, considéré comme un ravageur invasif en Australie, où il aurait été introduit sans prédateur. Les collemboles consomment également des pollens, des algues ou des bactéries. Peu d’espèces seraient carnivores.
Les collemboles sont des proies pour les carnivores notamment les arachnides, comme les pseudo-scorpions ou les gamases.
Les collemboles ont colonisé à peu près tous les milieux terrestres et aquatiques. Certaines espèces ont été trouvées en Antarctique, d’autres à 7000 m d’altitude dans l’Himalaya, d’autres dans des grottes très profondes (-2000 m), ou dans les déserts australiens…
Mais ils sont surtout abondants dans les sols offrant nourriture et conditions climatiques favorables.
Les collemboles sont hygrophiles, ils n’aiment donc pas la sécheresse. Pour y échapper, ils s’enfoncent dans le sol. Certaines espèces ont des cycles de vie leur permettant d’échapper au stress hydrique. Par exemple, elles raccourcissent leur temps de croissance pour échapper à la période critique. D’autres succombent mais leurs œufs résistent à la sécheresse. D’autres enfin effectuent un changement métabolique qui leur permet de s’adapter.
De même les collemboles s’enfoncent pour résister au froid. D’autres espèces, comme chez certains insectes, produisent des molécules antigel (glycérol). Dans les régions très froides (Antarctique), le cycle de vie s’allonge jusqu’à 2 ans d’œuf à œuf pour une éclosion au moment propice.
Leur rôle dans l’écosystème du sol.
Les collemboles régulent la microflore bactérienne des sols en limitant le développement des bactéries et champignons, tout en favorisant leur dissémination. Ils participent également à la dissémination de pollens ou de spores. Ils peuvent favoriser l’assimilation de l’azote par les plantes. Bref ils font partie de tous ces organismes qui contribuent à rendre le sol fertile, sachant que les phénomènes agissant sont complexes et encore mal connus.
Certaines espèces peuvent contribuer à la diminution des maladies parasitaires, notamment celles liées à la présence de champignons.
Quelques rares espèces sont reconnus comme raveuses de cultures. C’est notamment le cas pour des espèces introduites dans une région du monde où leurs prédateurs naturels sont absents, par ex. pour Sminthurus viridis en Australie.
Les sols forestiers sont ceux qui sont le plus favorables au développement des collemboles (jusqu’à 10 000 individus au m²). Les sols à usage agricole le sont moins (environ 2 000 au m² seulement). Le type de pratique agricole influence bien évidemment la richesse de la microfaune. Les labours profonds et l’usage de pesticides, notamment herbicides sont particulièrement défavorables. En revanche la permaculture les favorise. Les prairies sont quant à elles nettement plus riches en biodiversité du sol.
En conclusion : où et comment les trouver chez nous ?
En forêt, à l’automne, c’est le plus facile. La chute des feuilles apportant une nourriture abondante, le temps humide et des températures clémentes favorisent le développement des collemboles qui sont alors très nombreux.
Dans l’herbe, en particulier sur le trèfle, il est possible de les observer toute l’année, sauf pendant les périodes de gel ou de sécheresse.
Une loupe st nécessaire, la petite taille de ces animaux l’impose.
La microphotographie est le meilleur moyen pour les découvrir mais n’est pas simple à mettre en œuvre.
Un diaporama de photos prises par Jean-Pierre au cours de ses longues heures en forêt nous a permis d’apprécier sa patience, sa haute technicité et son talent artistique.
Quelques mots sur notre conférencier
Jean-Pierre a été au départ attiré par la photographe d’insectes et L’Agrion de l’Oise a pu monter pratiquement sa toute première exposition photo avec les siennes. Il nous a d’ailleurs confié ses tirages en garde, nous en présentons à l’occasion, et les beaux encadrements noirs sont encore utilisés pour nos expositions. Il faut le remercier pour ce généreux prêt.
Il s’est depuis passionné pour les collemboles et attend l’automne avec fièvre pour aller passer des heures allongé sur les feuilles, que les collemboles vont transformer en humus. Les promeneurs sont étonnés, voire inquiets, de le voir ainsi et viennent souvent lui demander si tout va bien. C’est aussi pourquoi, il préfère travailler dans des endroits isolés.
Il regrette cependant le manque de neige de nos derniers hivers, la neige permettant de photographier sur un support étincelant des quantités de sujets particulièrement bien mis en valeur. Témoin cette photo :
Jean-Pierre photographie et filme avec un Canon EOS 6D et les objectifs macro appropriés.
Certaines photos sont obtenues par superposition d’images (focus stacking ou empilage de mise au point), focus légèrement décalé pour maximiser la profondeur de champ des images, c’est-à-dire augmenter la zone de netteté. Il utilise le logiciel Zerenestacker (payant).
Pour la vidéo, il utilise son boitier Canon EOS 6D équipé d’un objectif Canon 65MPE et 2 torches à LED et pose l'appareil sur un bean bag (une espèce de coussin pour assurer une bonne stabilisation)
Si vous allez en forêt cet automne, penchez-vous vers les feuilles tombées, remuez-les un peu et vous devriez voir des bestioles sauter de tous côtés. Si vous avez du trèfle dans votre pelouse, il y a probablement d’autres espèces à observer. Ce petit monde est indispensable à la nature, donc nous est indispensable, et, sachez que lui aussi, est très sensible aux produits chimiques, que nous utilisons encore trop largement. Alors Zéro Phyto SVP.
Merci Jean-Pierre.