Publié le 26 Mars 2019
Nous avons vu récemment que, contrairement aux mouches et aux moustiques, le battement lent des ailes du papillon ne produisait aucun son (Une chorale d'insectes).
Cela étant, l’ouvrage de Sir John Lubbock nous réserve encore quelques surprises. On lit en effet plus loin :
Le vol des Papillons et des Phalènes ne produit généralement aucun bruit. Leurs ailes sont constituées par un tissu relativement mou et leurs mouvements sont lents. Ils ne sont cependant pas tout à fait silencieux.
Pour mémoire je crois, mais c’est à vérifier, que Lubbock a écrit « Butterflyes and mothes », à savoir papillons de jour et papillons de nuit, ou encore rhopalocères et hétérocères (classifications aujourd’hui obsolètes), ce qui a été traduit par « Papillons et Phalènes ». J’en profite pour dire que souvent moth est traduit en français par mite par les journalistes. Mite est un terme vernaculaire employé pour les mites ou teignes des vêtements, les mites alimentaires et les diverses pyrales, qui sont tous des papillons nocturnes.
Figure extraite de Conseil aux Amateurs pour faire une collection de Papillons, par Marguerite Belize, chez Ch. Mendel, Editeur, Paris, 1892
Le Phalène Tête de mort (Sphinx atropos) fait entendre un cri lugubre, signalé en premier lieu par Réaumur. Ce Papillon, dit-il, « dans le temps qu’il marche, a un cri qui a paru funèbre : au moins est-il le cri d’une bonne âme de Papillon, s’il gémit des malheurs qu’il annonce ».
Le cri de notre Papillon est assez fort et aigu ; il a quelque ressemblance avec celui des souris, mais il est plus plaintif ; il a quelque chose de plus lamentable. C’est surtout lorsque le Papillon marche, ou qu’il se trouve mal à son aise, qu’il crie. Il crie dans les poudriers, les boites où on le tient renfermés ; ses cris redoublent lorsqu’on le prend, et il ne cesse de crier tant qu’on le tient entre les doigts. En général il fait grand usage de la faculté de crier que la nature lui a accordée. »
On a discuté sur la façon dont ce son était produit, mais il parait certain qu’il est dû au frottement des palpes contre la base de sa trompe. Huber et les auteurs qui l’ont suivi, entre autres Kirby, Spence et Bévan, sont d’avis que le son émis par ce Papillon « a la même action sur les Abeilles que la voix de leur reine, ce qui lui permet de commettre les plus grands ravages dans les ruches sans le moindre danger ». D’un autre côté, Huber a établi, par des expériences, que ce son ne jette pas le même charme sur les grosses Abeilles (Bombus).
Le craqueur variable, Hamadryas feronia ou Ageronia feronia (Linnaeus 1759) © Caya !! Wikimedia Commons
Plusieurs autres espèces du genre Sphinx et quelques autres Phalènes, par exemple la Noctua fovea, produisent également un son. Darwin signale aussi un Papillon brésilien (Ageronia feronia) faisant entendre « un bruit semblable à celui que produit une roue dentée sous une prise d’eau, bruit qui peut être entendu à une distance de plusieurs yards. »
Ageronia feronia ou Hamadryas feronia (Linneaus 1758), de la famille des Nymphalidae, est appelé en français le craqueur variable., présent en Amérique centrale et du Sud. C’est un beau grand papillon de 73 à 83 mm d’envergure, très élégant. Lorsqu'un papillon s'approche, un mâle s'envole et émet un craquement caractéristique, probablement au moyen d'une paire de tiges sur l'abdomen. Si le nouvel arrivant est un mâle, il cliquera en réponse, alors que si c'est une femelle, il restera silencieux. Mais comme vous pouvez le constater sur la photo, c’est aussi un spécialiste du camouflage, ses ailes imitant les écorces sur lesquelles il se pose, un véritable artiste.
On dit également que le Papillon paon (Vanessa Io) possède la même faculté. Pour plus de détails sur les sons produits par les Insectes et les animaux en général, on peut consulter l’intéressant travail de Landois, Thierstimmen.
La faculté de produire des sons, que nous pouvons entendre, appartenant à plusieurs groupes, et l’acuité de ces sons eux-mêmes étant souvent très grande, je suis disposé à croire que beaucoup d’Insectes, regardés généralement comme muets, produisent des sons que nos organes de l’ouïe ne peuvent pas enregistrer.
Le texte de Lubbock poursuit sur les sons émis par d’autres arthropodes, notamment des myriapodes, tandis que les araignées entendent et prennent plaisir à entendre la musique. Le son d’un diapason les impressionne fortement. Cela nous le savons bien, ayant dans notre besace achetée à La Hulotte (ici une page de publicité …) un diapason pour attirer les araignées.
Permettez-moi à présent de citer mon cher Alphonse Labitte, qui écrit dans son opuscule Entretiens sur les mœurs des insectes (Editions Sciences et Voyages, 1924) au chapitre Il est vraisemblable que les insectes se comprennent entre eux, quelques lignes sur notre rapport à l’éventuelle communication sonore des insectes. C’est Gulliver chez les géants…

Admettons pour un instant que nous nous trouvions dans un monde imaginaire, plusieurs millions de fois plus grand que le nôtre, les naturels de cette gigantesque planète, ayant la taille de l’Himalaya. Ces géants démesurés auraient sans doute une organisation différente de la nôtre ; ils ne comprendraient pas ou peu nos actes ; ils s’expliqueraient difficilement nos sens qu’ils trouveraient probablement obtus ; du moins ils ne pourraient en juger qu’en comparant ceux qui pourraient avoir quelques ressemblances avec les leurs.
Avec étonnement, ils nous verraient grouiller dans les villes comme nous voyons grouiller les fourmis dans les fourmilières, ils nous trouveraient, je pense, industrieux, et peut-être ne nous refuseraient-ils pas la parcelle d’intelligence que nous refusons aux êtres inférieurs que nous écrasons.
Notre voix, trop faible pour s’élever jusqu’à eux, ne produirait aucune vibration sur leur gigantesque tympan, peut-être leur apporterait-elle comme un léger et faible bruissement, et ces êtres épouvantablement grands, puisqu’ils nous écraseraient sans nous apercevoir, comme nous écrasons sans les voir les fourmis, diraient : « Ces petites bêtes ne parlent pas, ou le bourdonnement qu’elles émettent ne signifie absolument rien ; en les examinant de près, elles semblent jouir de la vue et certainement elles doivent entendre ; et pourtant, inintelligentes, elles se laissent écraser. Elles se construisent des nids en pierre ; elles s’attaquent entre elles et se font la guerre ; malgré leur taille infime, elles arrivent à accomplir des actes merveilleux, ce qui indiquerait chez elles un certain instinct, mais, en somme, n’ayant pas de langage, elles n’ont décidemment aucune intelligence.
Malheureusement mon cher Alphonse ne nous dit rien des sons émis par les insectes. N’aurait-il pas entendu le cri lugubre du Papillon ?
Mais désolé, j’ai sauté un chapitre précédent Les insectes sont doués d’autres sens que les nôtres, où Alphonse faisait référence à l’illustre naturaliste anglais Lubbock, le citant lorsqu’il dit « La sensation du son est due à l’impression produite sur nous par les vibrations de l’air qui vient frapper nos tympans. Lorsque ces vibrations sont peu nombreuses, le son est grave, à mesure que leur nombre augmente, le son devient plus aigu. Mais lorsqu’elles atteignent le chiffre de 40 000 par seconde, nous cessons de les percevoir ».
Mais nous n’en avons pas fini avec le cri du papillon. Un article de Futura Planète publié en 2007, signé Jean Etienne, nous apprend que les papillons de nuit, notamment les Arctiidae, dont font partie les écailles, possèdent un système auditif très élaboré, leur permettant les repérer les chauves-souris aux ultrasons que leur appareil d’écholocalisation émet.
Devant le danger les papillons de nuit émettent eux-mêmes des ultrasons sur la même fréquence par un organe dans le thorax appelé timbale. Ils évitent ainsi d’être mangés par les chiroptères, ce qui est pour le mieux, car ces papillons sont toxiques et Batman ne les apprécierait guère. Mais le gag, si j’ose dire, c’est qu’une espèce de papillon inoffensive pour les chiroptères a appris à émettre ces ultrasons pour échapper au redoutable prédateur. Voilà du mimétisme bien compris. Entre parenthèses, ce sont les couleurs vives des Arctiidae qui préviennent les oiseaux de leur toxicité.
Mais vous l’avez compris, ces ultrasons inaudibles pour nous ne sont pas le cri lugubre du papillon Sphinx tête de mort, qui, outre ce cri d’épouvante, arbore des rayures jaunes sur son abdomen pour se faire passer pour un redoutable frelon. Revoilà du mimétisme bien compris.
Mais ce cri du papillon n’a rien à voir avec la chanson éponyme de Jean-Louis Murat.
C'est le cri de la terre,
Des oiseaux et des poissons
Depuis toujours il opère
Dans toute imagination
Il t'arrache les bruyères
Mais tu connais même pas son nom
Croix de bois, croix de fer
Oui c'est le cri du papillon
Décidemment que c’est compliqué, d’autant que Francis Lalanne a aussi une chanson portant ce même titre. Ah ! qu’il est puissant le chant du papillon.