Publié le 24 Septembre 2019
Dans mes fouilles dans les vieux documents, je trouve un vieil opuscule un peu défraichi, mais j’ai le plaisir de prendre mon coupe-papier pour en découvrir toutes les pages, personne n’a encore lu l’exemplaire dont j’ai hérité. C’est La Santé par le Miel, sous-titré Son usage dans l’Économie domestique et la Médecine usuelle, dont les auteurs sont A.L. Clément, dessinateur-animalier et Lucien Iches, professeur d’anglais à l’Association Philotechnique (un en-quart publicitaire dans l’ouvrage me l’apprend). C’est la deuxième édition datée de février 1902, tirée à 2000 exemplaires, comme la première datant probablement de 1900, voire auparavant ; l’ouvrage a donc eu un lectorat fourni. Les auteurs étaient membres de la Société nationale d’Apiculture et de Zoologie agricole et de la Société nationale d’Acclimatation (Clément sera même président de la section Entomologie). A noter que ces deux noms figurent largement dans la littérature apicole et que A.L. Clément était un illustrateur de talent pour tout ce qui concerne la nature. L’ouvrage avait été édité à compte d’auteur et était disponible chez les auteurs, à Paris au 34 de la rue Lacépède (tout près du Muséum).
Armand-Lucien Clément n’est pas un inconnu pour moi, car il a été l’ami d’Alphonse Labitte, entomologiste sur lequel j’ai beaucoup travaillé. En effet en 1904 j’avais relevé dans le Bulletin de la Société entomologique de France, une publication de Clément qualifiant Labitte de sympathique et ardent chercheur, bien connu de tous les entomologistes parisiens, décrivant une variété nouvelle du Carabus auratus (scarabée doré) trouvé à Vitry (Seine). Il le lui avait même dédié en nommant Labittei cette variante. Dans le n°3 du 10 septembre 1905 de L’Amateur d’Histoire naturelle (pierres, plantes et bêtes), une revue fondée par Alphonse Labitte, on peut lire un article de Clément : Combat entre grands carnassiers de l’ordre des insectes, où apparait une gravure de l’auteur d’un combat entre un carabe et un staphylin. Beaucoup de ses gravures en couleurs sont parues dans la Revue Horticole et sont accessibles sur Gallica.
Lucien Iches, qui a écrit de nombreux articles dans la revue L’Apiculteur et publié plusieurs ouvrages sur le sujet, a présenté en 1921 la nécrologie de Clément. Elle peut être lue dans les Annales de la Société entomologique de France. On y apprend que Clément est né à Montrouge le 4 juin 1848 et a commencé à dessiner très tôt au Parc de Monsouris et sur les bords de la Bièvre. Il a fait des études de chimie et a travaillé un temps comme chimiste-essayeur à la Monnaie. Comme dessinateur il s’est spécialisé dans l’histoire naturelle et plus spécialement les insectes, qu’il étudie et élève comme son ami Alphonse Labitte. Il serait même responsable en 1899, avec Lucien Iches, d’une fuite de spécimens d’Attacus cynthia, la Bombyx de l’ailante, qui se retrouveront autour des globes de l’Hôtel de Ville. Ces lépidoptères auraient ainsi acquis droit de cité à Paris. Un site Internet indique d’ailleurs qu’on en trouve toujours sur les ailantes (ou faux vernis du Japon) de certaines avenues parisiennes
On doit à Clément de nombreuses planches murales destinées à la chaire d’entomologie du Muséum et même des Bons-Points entomologiques édités et vendus par Hachette pour 3 frs 50 par paquet de 100, pour récompenser les élèves méritants du primaire. Il a également rédigé plusieurs ouvrages et fondé un cours d’entomologie agricole en 1902 qu’il professait au Pavillon de la Pépinière du Jardin du Luxembourg. Lucien Iches se proposait d’en éditer le manuscrit à titre posthume. Je ne crois pas qu’il ait concrétisé.
L’Apiculture moderne et La Destruction des Insectes sont deux traités par lesquels Clément encourage la culture des abeilles parmi les insectes utiles d’une part, et d’autre part vulgarise les méthodes de destruction de ceux qui sont nuisibles.
Quant à Lucien Iches, on lui doit L’Abeille domestique ; son élevage et ses produits, publié en 1921. Il est donné comme ex-naturaliste du laboratoire de zoologie agricole au ministère de l’agriculture de la République Argentine. Il avait publié en 1906 La Mosca brava (La mouche sauvage) à Buenos Aires, ainsi que d’autres travaux sur les diptères. On trouve également des travaux sur les dégâts de la cochenille Diaspis pentagona, introduite en Argentine, importée d’Italie avec des pieds de lilas et déclarée plaie nationale en 1906. Je n’ai pas trouvé de date de naissance ou de décès. Ses premières publications en français ou en espagnol remontent à 1900 et les dernières sont de 1935-1936. Membre de la Société entomologique de France à partir de 1903 (parti en 1904 à Buenos-Aires à cette date mais inscrit comme secrétaire de la Société centrale d’Apiculture, puis à Laon dans l’Aisne entre 1910 et 1920, puis à Villeneuve-le-Roi de 1927 à 1936), il sera promu officier de l’Instruction publique en 1923. On ne le trouve plus dans les annuaires de la SEF après 1936.
Abeille butinant dans une fleur de menthe ©Téa Masson - 3ème Prix Jeune du Jury - Concours Photo L'Agrion de l'Oise 201
Mais revenons à l’opuscule qui m’a donné envie de publier ce post. Pardonnez-moi de m’être laissé à cette longue digression sur les auteurs, mais avouez que cela valait la peine de les évoquer.
En tête de l’ouvrage se trouvent les brèves recommandations d’A. Giard, membre de l’Institut et président de la Société centrale d’Apiculture et de Zoologie agricole (il s’agit Alfred Giard, né à Valenciennes en 1908, décédé à Orsay en 1908, qui a entre autres été directeur du Laboratoire de Zoologie de Vimereux, spécialiste des insectes nuisibles, auteur scientifique prolifique), de même que celles de l’Abbé Boyer, fondateur de l’Abeille Bourguignonne, et de l’Abbé Weber, vice-président de la section d’apiculture de Saint-Avold, etc.
Certaines appréciations s’expriment en vers, comme pour J. Malessard, vice-président de la Société centrale d’Apiculture et de Zoologie agricole.
Un clair style érudit, en ce beau livre utile,
Prenant son large essor,
Vient présenter le miel à notre esprit futile
Comme un divin trésor.
Oui, Nature en travail, au milieu de merveilles ;
Pour guérir nos douleurs
A mêlé, dans un baume, au sang de nos abeilles,
La douce âme des fleurs.
Et ce n’est pas tout, certains comme le Dr Albert Cahon, Officier d’Académie, Président de la Revue et de la Violette Picardes, s’expriment en alexandrins :
J’adorais autrefois le doux miel de l’Hymèle,
Celui de France, pas, car j’avais mal aux dents,
J‘aimais les beaux rayons décrits par le poète,
J’avais peur de la ruche aux Insectes piquants.
Mais, en lisant Messieurs, votre savant ouvrage,
Je vais me souvenir que je suis médecin ;
J’ordonnerai le miel, en gâteaux, en breuvage,
J’épuiserai le fruit du labeur d’un essaim.
Je vais parler partout, j’en dirai des merveilles,
J’en ferai le sujet de mes prescriptions.
Je vais n’avoir plus peur de vos chères abeilles :
Je m’incline devant vos prédilections.
Ceci dit recevez la sincère assurance
De mes vœux pour votre œuvre. A vous mon souvenir,
De vous voir en santé, j’ai la douce espérance,
Car travailler, c’est beau ; mais mieux ne pas souffrir.
Au fait qu’est-ce-que la Violette Picarde ? Manifestement ce doit être une association organisant autour de 1900 des manifestations culturelles à Amiens. Vous en saurez plus plus loin.
Autre poète Fernand Halley, directeur de la Revue Picarde et Normande - écrivain, auteur dramatique et musicien, né à Caen en 1863 - nous propose un sonnet, intitulé L’Abeille, daté Rouen 21 décembre 1901 :
J’ai pour les chiens, les chats, les chevaux, les oiseaux,
Un amour infini. Cependant je préfère,
Parmi les animaux peuplant notre hémisphère,
L’Abeille aux reflets d’or qui va par les roseaux
Butiner tout le suc de la gent florifère ;
Rasant tantôt le sol, la surface des eaux,
Puis s’élevant dans l’air pour baiser les ormeaux,
Ou les chênes ombreux, à la cime altière.
J’admire son labeur et prends plaisir réel
A la suivre en esprit, même quand je sommeille,
Lorsqu’un rêve enchanteur me conduit vers le Ciel !
Or, savez-vous pourquoi je préfère l’Abeille,
Et trouve sa splendeur à nulle autre pareilles ?
C’est que je suis gourmand et que j’aime le miel…
Et le dernier, daté 1902, celui de Monsieur Bout de la Revue Picarde (j’ai trouvé que c’est Monsieur A. Bout, nous sommes près du bout, allons-y donc). Poète et écrivain, il a fait paraitre chez E. Figuière en 1911 Notre ancienne Picardie, contribution au folklore régional : traditions, légendes, trait et curiosités, consultable sur Gallica. Un très court chapitre de l’ouvrage a trait aux insectes, j’en extrais ce paragraphe :
Aucune ménagère picarde ne voudrait détruire les petits papillons argentés qui voltigent, les soirs d’été, dans les demeures, car on les appelle des anges et on croit à cause de cela, qu’ils sont sacrés. Or ce sont simplement les teignes, transformations des vers qui rongent à qui mieux mieux les habits.
Ah ! désolé encore un commentaire, je trouve que le poète François Coppée a été président d’honneur de la Revue Picarde, sans doute quand il fréquentait Mers-les-Bains et séjournait à la villa Les Violettes (picardes ?). Une publicité en fin de l’opuscule nous confirme qu’il doit s’agir de la Revue Picarde et Normande, illustrée, littéraire, artistique, musicale et scientifique, fondée en 1899, en vente dans toutes les gares de Picardie, à Rouen Arras, Paris, Bordeaux, etc. pour 0 fr 50. Elle organise un grand concours annuel gratuit, poésie, prose, patois, dessin, photographie, musique, dont le programme est envoyé franco.
Et j’en arrive à cette information : la Revue Picarde et Normande, parue jusqu’en 1943, était aussi le bulletin de la Société des Violetti, manifestement une société littéraire cousine de la fameuse Société des Rosati d’Arras. Mais que nous conte Monsieur A. Bout dans son sonnet Abeilles ?
Parmi tous les trésors exquis que la Nature
Avec profusion accorde à nos jardins,
On voit errer, dans l’or adouci des matins,
L’abeille dans le vol agile est un murmure.
Elle va, choisissant avec soin la plus pure
Des fleurs dont le printemps a peuplé ces Edens,
Pour puiser à plein cœur les arômes divins,
Qu’afin d’en composer son doux miel elle épure !
Semblables à l’insecte auquel vous les vouez,
Vos plumes d’écrivains si richement doués,
En ce livre opérant d’autres métamorphoses,
Ont, abeilles de l’art au rôle merveilleux,
Su si bien condenser les meilleures des choses,
Que le lecteur y trouver un nectar savoureux !
Quel florilège !
Et pour conclure, en prime, une publicité extraite de l’ouvrage, pour un apiculteur-constructeur de Saint-Just-en-Chaussée dans l’Oise. Il s’agit de L. Robert-Aubert, entreprise créée en 1878, qui a exercé jusque vers 1920, et cédée à Maurice Lerouge, depuis dénommée L’Abeille de l’Oise (une cousine de L’Agrion de l’Oise, semble-t-il). Il faudra aussi un jour revenir sur cette entreprise.