Le monde des Odonates entre l'eau et le ciel

Publié le 1 Août 2020

La libellule au bord de l'étang ©Joël Tribhout

La libellule au bord de l'étang ©Joël Tribhout

Les insectes aquatiques sont nombreux et on peut dire que les Odonates, pour bon nombre d’entre eux, font partie de cet univers car ils passent plus des deux tiers de leur vie dans l’eau à l’état larvaire.

Nous allons entrer dans le vif du sujet en utilisant ce terme d’Odonates. Odonate vient du grec, odo (dent) et nate déformation de (gnath), mâchoire qui veut dire mâchoire dentée.

L’ordre des Odonates (Odonata) comprend deux sous-ordres ;

- les Libellules ou Anisoptères, et

- les Demoiselles ou Zygoptères.  

Avec les Éphémères (ordre des Ephemeroptera), les Odonates sont considérés par les paléontologues comme étant les insectes les plus anciens apparus sur terre. On remonte à 320 millions d’années, au Carbonifère. Les premiers représentants de cet ordre, les Méganisoptéres, dépassaient les 70 cm d’envergure.

On ne va pas vous inonder de termes scientifiques mais seulement les plus importants pour vous emmener à la découverte du monde extraordinaire de ces insectes qui hypnotisent petits et grands.

Demoiselle Caloptéryx vierge mâle, Calopteryx virgo (Zygoptère) ©Joël Tribhout

Demoiselle Caloptéryx vierge mâle, Calopteryx virgo (Zygoptère) ©Joël Tribhout

Libellule déprimée immature, Libellula depressa (Anisoptère) ©Joël Tribhout

Libellule déprimée immature, Libellula depressa (Anisoptère) ©Joël Tribhout

Différencier les libellules est souvent délicat pour le commun des mortels. Pourtant la différence est évidente. Si la couleur nous donne une première indication sur l’identité de l’animal, il faut regarder d’autres critères plus parlants.

Pour les Zygoptères, les ailes sont soit repliées à l’horizontale (Agrions, Caloptéryx,…), soit entrouvertes à l’oblique vers l’arrière au repos (Lestes). Comme pour les Anisoptères, chaque paire d’ailes est presque d’égale grandeur et actionnée par deux muscles séparés situés à la base des ailes, contrairement aux autres insectes où le mouvement des ailes est déterminé par les déformations de l’exosquelette dues aux muscles thoraciques.

L’Agrion délicat, Ceriagrion tenellum ©Joël Tribhout

L’Agrion délicat, Ceriagrion tenellum ©Joël Tribhout

Le vol des Zygoptères est le plus souvent incertain. Pour les Agrions l’abdomen est dit en forme d’allumette (photo 4) alors que pour les Lestes et les Caloptéryx il est un peu plus gros.

Les yeux très écartés d’un Agrion, Coenagrion sp. ©Joël Tribhout

Les yeux très écartés d’un Agrion, Coenagrion sp. ©Joël Tribhout

Les yeux sont petits et bien séparés. Chaque œil est composé d’environ 10 000 yeux simples ou ommatidies avec une vision à 360°.

 

Vol en stationnaire de l’Æschne Mixte, Aeshnia mixta ©Joël Tribhout

Vol en stationnaire de l’Æschne Mixte, Aeshnia mixta ©Joël Tribhout

Pour les Anisoptères ou libellules qui font l’hélicoptère au-dessus des rivières et étangs, les ailes sont au repos toujours dépliées à l’horizontale ou légèrement repliées vers l’avant et sont de tailles différentes. Les ailes postérieures sont plus larges que les antérieures. Le vol de ces libellules est très impressionnant. Elles peuvent planer, virer de gauche à droite, rester en vol stationnaire, descendre, monter à la verticale et voler en arrière.

Dans les yeux d’une Æschne bleue, Aeshnia cyanea ©Joël Tribhout

Dans les yeux d’une Æschne bleue, Aeshnia cyanea ©Joël Tribhout

A la différence des Zygoptères, leurs yeux composés occupent la plus grande partie de la tête et vont même parfois jusqu’à se toucher.  On peut compter 28 000 à 30 000 facettes connectées individuellement au cerveau. Une proie en mouvement peut être détectée à une distance de 40 m.

Abdomen d’une libellule fauve mâle, Libellula fulva ©Joël Tribhout

Abdomen d’une libellule fauve mâle, Libellula fulva ©Joël Tribhout

Leur abdomen est plus large que celui des Demoiselles, voire aplatis chez certaines comme la libellule déprimée.

Antennes d’une Petite Nymphe au corps de feu, Pyrrhosoma nymphula ©Joël Tribhout

Antennes d’une Petite Nymphe au corps de feu, Pyrrhosoma nymphula ©Joël Tribhout

On peut observer chez les Odonates deux petites antennes qui partent du front. On pense qu’elles sont garnies de capteurs chimiques et tactiles leur permettant de détecter les vibrations, le contrôle du vol et peut-être apprécier la température de l’eau lors de la ponte.

Cercoïdes chez la libellule mâle, Cordulégastre annelé, Cordulogaster boltonii ©Joël Tribhout

Cercoïdes chez la libellule mâle, Cordulégastre annelé, Cordulogaster boltonii ©Joël Tribhout

Il existe une particularité originale dans la morphologie de l’abdomen constitué de 10 segments chez les mâles. Celui-ci se termine par des appendices abdominaux constitués de deux cerques (cercoïdes), permettant d’attraper les femelles par l’arrière de la tête lors de l’accouplement.

Coeur copulatoire chez un couple de Caloptéryx vierges, Calopteryx virgo ©Joël Tribhout

Coeur copulatoire chez un couple de Caloptéryx vierges, Calopteryx virgo ©Joël Tribhout

Chez les Odonates, l’organe copulatoire se situe sous le second segment abdominal, alors que le pore génital où sont stockés les spermatozoïdes se trouve sous le 9ème segment.

Avant l’accouplement, le mâle transfère en vol sa semence du 9ème au 2ème segment.

Accouplement de Petites Nymphes à corps de feu, Pyrrhosoma nymphula ©Joël Tribhout

Accouplement de Petites Nymphes à corps de feu, Pyrrhosoma nymphula ©Joël Tribhout

Accouplement d’Agrions à larges pattes, Platycnemis pennipes ©Joël Tribhout

Accouplement d’Agrions à larges pattes, Platycnemis pennipes ©Joël Tribhout

C’est pour cette raison, quand le mâle saisit la femelle derrière la tête avec ses pinces terminales, celle–ci ramène son abdomen et place sa pièce copulatrice sous le 2ème segment pour recevoir les spermatozoïdes et le couple forme ainsi cette très belle figure appelée « cœur copulatoire ».

Libellule Æschne Affinée, Aeshna affinis, pour une séance photo inoubliable ©Joël Tribhout

Libellule Æschne Affinée, Aeshna affinis, pour une séance photo inoubliable ©Joël Tribhout

Quand on veut partir à la découverte de ces insectes captivants il suffit de rechercher une mare, un étang, un lac, des tourbières ou des sources.

La plupart des Odonates restent à basse altitude mais il n’est pas rare d’en trouver à plus de 2000 m comme J’ai pu le constater au-dessus de Névache dans les Hautes–Alpes. Un tout petit nombre d’espèces vit dans tous types d’eau et ceci de la plaine à la montagne, on dit qu’elles sont ubiquistes.

Libellule Sympetrum fascié ou S. strié, Sympetrum striolatum ©Joël Tribhout

Libellule Sympetrum fascié ou S. strié, Sympetrum striolatum ©Joël Tribhout

L’Odonate est fascinant et J’ai passé de nombreuses heures à l’observer et à la photographier. Cet insecte a une double vie à la fois aquatique et aérienne. On dit qu’il est hémimétabole. La larve vit de quelques mois à plusieurs années dans l’eau, alors que l’adulte ne passera sa vie à voler que le temps d’un été. Ce sont aussi des insectes hétérométaboles car leur cycle est dépourvu du stade nymphal immobile que l’on peut constater chez les insectes holométaboles comme le papillon, où une métamorphose immobile (le cocon) se déroule entre la larve et l’adulte.

Ma curiosité m’a amené à faire de très belles rencontres jusqu’à les toucher. Comme je l’ai relaté dans d’autres articles sur le blog de « l’Agrion de l’Oise », je veux photographier les insectes au plus près, c’est-à-dire à 1 cm. Cela ne va pas sans déconvenue mais comme on dit, « le jeu en vaut la chandelle ». Si certains insectes se laissent approcher facilement, les Libellules et les Demoiselles sont assez farouches car leur vue est excellente et elles vous ont repéré bien avant que vous les ayez vues.

Crocothemis écarlate, Crocothemys erytraea, dans son habit d’apparat ©Joël Tribhout

Crocothemis écarlate, Crocothemys erytraea, dans son habit d’apparat ©Joël Tribhout

L’éthologie, c’est le comportement de l’animal dans son milieu naturel et c’est cela que je voulais expérimenter.  Pour la libellule, si vous la voyez et qu’elle reste sur place, il ne faut pas vous précipiter. Il faut user de patience et avancer lentement sans la quitter des yeux. Au moindre mouvement de tête qui pivote ou de battement d’ailes, je stoppe ma progression pendant quelques secondes. Puis je reprends mon approche dans une position en canard. Quand je ne suis plus qu’à quelques centimètres, je lui présente mon appareil à 1 cm en position grand angle et là, je dis que L’Odonate est en confiance, voire quasiment hypnotisé.

Une Caloptéryx vierge femelle, Calopterys virgo,  s’apprête à déguster une mouche de mai, Ephemera danica  ©Joël Tribhout

Une Caloptéryx vierge femelle, Calopterys virgo, s’apprête à déguster une mouche de mai, Ephemera danica ©Joël Tribhout

J’ai pu passer de longs moments à  immortaliser ces rencontres avec les Libellules Sympétrum fascié, Sympétrum écarlate, Æschne mixte, Æschne affinés, Anax Parthenope, Anax empereur mâle et femelle, Cordulégastre, Crocothémis écarlate, Libellule à quatre taches, mais aussi Demoiselles Caloptéryx vierges ou éclatants (Caloptéryx qui signifie  en grec « belles ailes »), Agrion jouvencelle ou Petite Nymphe au corps de feu, etc.

Certaines de ces rencontres que je qualifie de jouissives et inspiratrices, je les ai transformées en poésies.

Quel beau spectacle que de regarder voler une libellule quand, au-dessus d’une roselière, elle défend son territoire où elle chasse en plein vol pour attraper ses proies telles que moustiques, papillons, mouches.... Parfois elle les déguste en plein vol coincées entre ses pattes ravisseuses, parfois elle se pose. Un détail très important concerne ses 6 pattes :  elles lui servent à s’accrocher à un support mais jamais pour marcher.

Une fois accrochée la femelle de la Petite Nymphe au corps de feu, Phyrrhosoma nymphula, va former le « cœurcopulatoire » ©Joël Tribhout

Une fois accrochée la femelle de la Petite Nymphe au corps de feu, Phyrrhosoma nymphula, va former le « cœurcopulatoire » ©Joël Tribhout

Dans la vie de la libellule qui ne dure que le temps d’un été, il y a trois phases auxquelles il faut absolument assister. Ce sont l’accouplement et la ponte, puis l’émergence.

Aux heures chaudes de la journée et sous un soleil ardent, le bal des accouplements commence. Certaines libellules s’accouplent cachées dans la végétation, d’autres posées sur un roseau , ou encore en plein vol. Lors de cet acte, il est très facile de les approcher pour les photographier car trop occupées à leur affaire.

Ce sont les Demoiselles, Agrions ou Nymphes, qui réalisent la plus belle figure en forme de cœur. L’accouplement peut durer de 5 à 30 minutes, voire plus.

Attention danger pour ce couple d’Agrions, Coenagrion sp., lors de la ponte, un Gerris surveille ©Joël Tribhout

Attention danger pour ce couple d’Agrions, Coenagrion sp., lors de la ponte, un Gerris surveille ©Joël Tribhout

Il faut savoir qu’au stade adulte (imago), dans la vie de tous les insectes, il n’y a qu’une seule finalité qui est la reproduction pour la survie de l’espèce.

Une fois la fécondation terminée le couple reprend son vol et cherche un endroit propice à la ponte.

Ce moment est souvent crucial pour L’Odonate car le danger est partout, surtout que cela se passe dans un milieu aquatique et que de nombreux prédateurs sont à l’affût, telles les grenouilles.

Il n’est pas rare de voir chez certaines espèces le mâle qui reste accroché à la femelle lors de la dépose des œufs soit en position verticale (Agrions jouvencelles),

Ponte d’Anax Parthenope ou A. napolitain), Anax parthenope,  dans la Seine ©Joël Tribhout

Ponte d’Anax Parthenope ou A. napolitain), Anax parthenope, dans la Seine ©Joël Tribhout

soit posé sur des algues de la Seine, ici un Anax Parthenope,

Accouplement en vol de Sympetrum avant la ponte ©Joël Tribhout

Accouplement en vol de Sympetrum avant la ponte ©Joël Tribhout

soit en vol stationnaire ou en mouvement quand la femelle claque l’extrémité de son abdomen à la surface de l’eau pour y déposer ses œufs.

Ponte de l’Anax Empereur, Anax imperator ©Joël Tribhout

Ponte de l’Anax Empereur, Anax imperator ©Joël Tribhout

Ponte de l’Æschne bleue femelle, Aeshna cyaneia ©Joël Tribhout

Ponte de l’Æschne bleue femelle, Aeshna cyaneia ©Joël Tribhout

D’autres variétés comme la femelle de l’Anax empereur préfèrent être seules et percent les végétaux immergés avec leur ovipositeur.

En juillet 2017, J’ai pu assister à une scène surprenante entre un Anax empereur femelle et une grenouille verte. Alors que l’Anax venait de pondre, il se déplaça de quelques mètres au-dessus de la roselière pour reprendre sa ponte. Il commença son travail à seulement quelques centimètres de la grenouille à moitié immergée. Cette dernière sortit sa longue langue collante et pris la libellule dans sa bouche. Elle se débattit si vigoureusement qu’elle ressortit très vite de ce piège. Cette scène m’a inspiré la poésie « la libellule et la grenouille ».

Lorsque l’été s’en ira, la plupart des espèces vont disparaitre. Il n’est cependant pas rare en novembre de voir les dernières libellules voler, leurs couleurs sont ternes et les ailes commencent à se déchirer.

La deuxième étape est aquatique.

L'étape suivante sera aquatique.

Nous verrons dans la deuxième partie de cet article ce qu'il advient de la ponte de ces odonates.

A suivre

Joël Tribhout (texte et photos)

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