Le vrai du faux ou histoire de mêche à la pouche (suite et fin)

Publié le 11 Octobre 2014

N.d.R. :Et voilà la suite du récit de notre ami Philippe, mêcheur à la pouche

Rappel : la notonecte (greater water boatman en GB ; water boatman ou backswimmer aux US ou en Colombie britannique - abeille d’eau (en France) peut atteindre 20 mm. Elle possède un rostre bicanalé lui permettant d’absorber la chair de ses proies. Elle est carnivore en effet et mange des agrions (entre autres bien sûr).

Au Canada, les agrions font partie des "Damsels" du français « demoiselle ». Je n'ai pas de vidéo montrant une notonecte en train de manger un agrion. A la place je vais vous montrer un autre animal en train de manger des Damsels … en détresse et en Nouvelle-Zélande.

Vous avez ouvert le lien ?

Quel spectacle n'est-ce pas ? De la poésie pure malgré la violence. Notez que beaucoup en réchappent. J'ai estimé la taille de ces truites, je pense qu'elles atteignent 80 cm ! Peut-être 5 kg!

Bon, continuons. La notonecte a des facultés de vision exceptionnelles : ses yeux peuvent voir au-dessus, dans le film et en dessous. Je vous laisse aller y voir de plus près (c'est compliqué, Essilor a étudié le truc) pour me concentrer sur ce qui m'intéresse et qui peut être pourrait aussi vous intéresser…

Vers fin septembre, le water boatman quitte l’aval où son habitat s'assèche pour aller chercher de l'eau en amont, comme dans notre Big OK Lake qui est à 1500 m d’altitude. Il fait déjà froid à cette altitude. Nous y avons campé dans la neige et la température est tombée jusqu'à - 5°C. Cette migration n'a pas lieu qu’en raison du manque d'eau, il semble que les water boatmen bougent aussi pour se reproduire.

Ces animaux volent très bien (mais ils marchent mal…on peut imaginer pourquoi, avec de telles pattes, un cul par-dessus tête est courant..!). Ils se laissent tomber comme des grêlons, coincent une bulle au passage, et, vont s'installer dans des algues avec leur bulle. De temps en temps, ils viennent changer leur bulle.

Le water boatman est aussi appelé backswimmer c'est parce qu'il nage sur le dos avec sa bulle coincée sur le ventre. C'est ça, ce que veut dire le mot notonecte du grec nage et dos.

mouche simulant la notonecte

mouche simulant la notonecte

Toutes nos mouches ont une fausse bulle, voire une trainée de bulles synthétiques. Quand vous regardez dans votre verre de champagne, ne concluez pas qu'il y a des notonectes dedans ; parce que vous disposez d'un indice qui permet d'écarter cette hypothèse : la trainée de bulles n'est pas verticale chez les notonectes.

La période la plus dangereuse pour eux, c'est depuis le "ploc" jusqu'à l'algue protectrice. Ils sont à découvert et les truites ont faim à ce moment-là de l'année, parce qu'il faut bien manger avant que le gel ne vienne couvrir le lac… dans un mois à peine. Les water boatmen descendent par une nage saccadée vers le fond et c'est cette action que nous cherchons à imiter.

Quand un évènement comme celui-là se produit, c'est le bal dans le lac. C'est la joie du mêcheur à la pouche.

On vise les gobages, on met un bas de ligne plongeant doucement, on effectue des tirettes de 10 cm, posé, tirettes, posé…et paf. Si on serre trop la ligne au moment de la tirette ou si on ferre trop fort, on casse.

J'ai dit plus haut que Bryce était un pêcheur redoutable…mais pas trop, pourquoi pas trop ? En effet, au Canada, il est illégal de pêcher avec des hameçons dotés de barbillons. Il faut les casser.

"barbless" sans barbillon

"barbless" sans barbillon

Ainsi, il devient très facile de décrocher les poissons. De plus, nous relâchons toutes ces truites, sans exception. On a le droit à une par jour, mais on n'y a jamais goûté. D'après Glenn, les poissons ne souffrent pas comme les mammifères. Ils seraient extrêmement sensibles aux moindres pressions, mais il n'y aurait pas de douleur ? J'espère que c'est vrai. Quand on voit les pauvres saumons après avoir frayé … avant de mourir, on dirait des fantômes, ils nagent à peine, ils sont blanc délavé, les yeux ont été mangés. S’ils souffrent, c'est que la nature est trop impitoyable.

Donc on est des pêcheurs redoutables, mais pas trop, "catch and release", on prélève un peu en mer, jamais en rivière et lac. Sans barbillon le poisson a sa chance. Si on lui laisse du mou, c'en est fait.

le mêcheur à la pouche sur son pontoon boat

le mêcheur à la pouche sur son pontoon boat

On est donc sur notre pontoon boat, les palmes dans l'eau. On a lancé sur un gobage, on a fait plein de tirettes… donc, il y plein de ligne entassée sur le tablier… en tas … peut être en perruque… Touche… Ferre… ça y est; peut-être 20 pouces…50 cm….5 Lbs. Bryce en a pris de 26". 65 cm !

Saumons coho à la ferme d'élevage

Saumons coho à la ferme d'élevage

On tient la ligne dans la main gauche. On met la gaule à la verticale bras tendu et on commence à palmer comme un fou pour garder de la tension. En effet, ce n'est pas facile de contrôler la ligne quand on n’est pas en prise sur le moulinet. Il faut, justement, arriver sur le moulinet et pour cela rembobiner la ligne qui est sur le tablier en perruque potentielle. Si le poisson avale la ligne libre c'est facile… mais c'est rare. Souvent le poisson se bat sur place ou il fonce sur vous. Alors on fait comme on peut, on ramène brassée par brassée sur la future perruque. Si le poisson ne bouge pas, on maintient la tension et on essaye de rembobiner "par le dessous de la ligne" ; faire un nœud est courant. Si le poisson part, que va-t-il se passer avec le nœud ?

Ce qu'on aime, c'est quand le poisson saute. C'est majestueux. Souvent c'est à ce moment-là qu'il se libère. On est content pour lui. C'est ceux-là qui s'inscrivent plus durablement dans nos rêves. Ils sont plus gros pour toujours "tels qu'en eux même enfin l'éternité les change".

Les plus combatifs avalent toute la soie et vont sur le backing (une réserve de fil résistant non pesant de 100 / 200 m). On est maintenant sur le moulinet. il n'y a plus qu'à… Quand le poisson arrive près du pontoon, il prend peur et fait tout un cirque. L'épuisette est souvent trop petite ! Je vous laisse imaginer la suite. On décroche, on mesure ou pas, photo ou pas et hop à l'eau. Le poisson n'a pas de mémoire, il peut se faire reprendre rapidement.

Démonstration

Démonstration

En septembre, en particulier, il ne faut pas jouer longtemps. Le poisson perdrait de l'énergie pour l'hiver et il y aurait des "casualités" (NdR : de l’anglais « des pertes »). On reste donc ferme quitte à casser. Là dessus, un mot.

Si le poisson part avec l'hameçon, ce n'est pas grave. En général, il va s'en débarrasser. Un processus rapide de corrosion va finir par couper l'hameçon (pas d'inox). Si l'hameçon ne se décroche pas, on est tout simplement dans la situation du piercing. Le poisson peut même arborer fièrement son piercing …

Un jour, on peut être désespéré, on ne voit pas un poisson sauter ou faire des ronds ou ceci ou cela. Et puis tout d'un coup, il y a une éclosion d’insectes et on n’en revient pas du nombre de truites qui font leur apparition.

Ephéméroptère : ce n’est pas une mouche artificielle © Nordelch Creative Commons

Ephéméroptère : ce n’est pas une mouche artificielle © Nordelch Creative Commons

Si on a une May fly hatch, une éclosion d'éphémères (la « manne » au Québec)… Le problème est de s'assurer que la truite choisisse votre pouche artificielle au lieu de l'une ou l'autre des vraies… Quand un évènement comme celui-là se produit, les truites "marsouinent" … Un spectacle.

Quand il y a une grêle de water boatmen, c'est le même genre d'évènement. Mais ça ne marsouine pas, ça attaque franchement, il n'y a pas besoin de faire de posé en douceur, au contraire, la truite entend le ploc de l'insecte et fonce dessus. D'après mes amis, après un jour ou deux, les truites ne réagissent plus au water boatman. On dirait qu'elles en sont écœurées. J'ai une théorie là dessus. Je vais y venir.

J’utilise en Colombie britannique des water boatmen artificielles plus petites que celles avec trainée de bulles, munie d’une bille en tungstène pour qu'elles coulent bien. Pas mal de mes prises se sont fait leurrer avec cette mouche, acceptable toute l'année.

C’est ce qui me fait revenir au lesser water boatman, le Micronecta scholtzi. Très différent en fait de la notonecte : il ne nage pas sur le dos, il est végétarien, il ne migre pas, et surtout il est nettement plus petit (environ 2 mm). Plus petit que ma mouche artificielle. Et européen en plus.

Un autre type de mouche imitant semble-t-il le trichoptère, un insecte aquatique (caddisfly en anglais)

Un autre type de mouche imitant semble-t-il le trichoptère, un insecte aquatique (caddisfly en anglais)

Au fond, le Micronecta scholtzi ne serait pas très intéressant s’il n'avait pas un talent absolument remarquable : il fait un vacarme assourdissant avec sa b…, pardon son pénis. Je dis bien avec son pénis. Micronecta scholtzi est aussi appelé the singing penis. Charmant, n'est-ce pas? Ce phénomène a été très étudié tant il est impressionnant. Le bruit monte à 99 décibels, ce qui en fait l'animal le plus bruyant du monde. L'eau atténue le bruit et il faut faire intervenir le fait que l'insecte est tout petit pour comprendre pourquoi on arrive quand même à dormir. Toute proportion gardée, c'est l'animal le plus bruyant du monde. Whaw ! Évidemment, la femelle ne fait pas de bruit, à moins que… c'est une autre partie de ma théorie.

Oui, j'ai trouvé que c'était bizarre de faire du bruit avec son pénis. Je me suis dit qu'il fallait une b… d'airain et quelque chose de dur pour taper ou frotter dessus. Eh bien oui, Micronecta a, en guise de b…, un membre d’airain. De ce côté là, il ressemble à Henri IV. Du coup je me suis interrogé sur Madame Micronecta scoltzi. Partage-t-elle le plaisir du mâle ? J’ai enfin compris : Micronecta scholtzi pratique la copulation traumatique, mode de reproduction chez certains animaux à carapace dépourvus d’orifice sexuel. Le mâle plante son aiguillon dans la carapace de la femelle et les spermatozoïdes vont vers les ovules en se déplaçant dans le sang.

Ces mouches artificielles seraient-elles des demoiselles (sous-ordre des zygoptères) comme leurs yeux bien écartés le font penser ?

Ces mouches artificielles seraient-elles des demoiselles (sous-ordre des zygoptères) comme leurs yeux bien écartés le font penser ?

C'est pour cela que j'ai émis un doute sur le charme de cette affaire. Il transperce sa dame un peu n'importe où, avec une sorte de rostre du bas, c'est effectivement une b… d'airain, une dague monocanalée. Du coup, on peut s'interroger : le mâle fait du bruit avec, c'est certain. Mais peut être que sa dame hurle de douleur et fait autant de bruit ! On a maintenant en mains ce qu'il faut pour comprendre pourquoi les truites seraient écœurées par une alimentation à base de l'un ou l'autre de ces insectes. C'est l'effet Achab ou Jonas. Une fois dans le ventre de la baleine, ils ont dû avoir faim, ces braves, ils ont dû sortir leur opinel et se tailler un bout de la paroi stomacale pour manger ou alors pour faire vomir la baleine et retrouver la liberté… C'est sans doute ce que fait le water boatman avec son rostre bicanalé du haut et Micronecta avec son rostre monocanalé du bas. Ni plus ni moins, il y a de quoi écœurer une truite…

J'en reviens au titre : le vrai water boatman a un rostre en haut, le faux a un rostre en bas

C'était simple, n'est-ce pas, de reconnaitre le vrai du faux ?

Philippe, mêcheur à la pouche

Commentaires de l’Agrion de l’Oise

Comme cet article le laisse clairement entendre, la pêche à la mouche a bien besoin de l’entomologie.

Un spécialiste disait à juste titre que la connaissance de l’entomologie ne doublait pas le nombre de prises, mais doublait certainement le plaisir du pêcheur. A noter que c’est en ouvrant l’estomac d’un poisson et en faisant l’inventaire de ce qu’il a mangé que l’on peut déterminer sa proie préférée du moment et choisir sa mouche artificielle en conséquence.

Un site spécialisé"Fly Fishing Entomology"(en anglais)

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