L’opération Hanneton

Publié le 27 Avril 2019

Hanneton commun femelle ©Joël Tribhout

Hanneton commun femelle ©Joël Tribhout

Je reviens sur l’article « Comment tirer profit des Hannetons » faisant état de l’abondance de ce coléoptère pour montrer une des raisons pour lesquelles on n’en voit nettement moins que par le passé.

Dans les années 50, la future LPO s’inquiète de la disparition des oiseaux et met en avant leur utilité dans la destruction des insectes, ravageurs des cultures.

« Pour remplacer l’Insectivore que la nature avait donné à l’homme, celui-ci a conçu l’Insecticide. » peut-on lire sous la plume de Gaston Smet, président de la Fédération Sérinophile et Ornithologique de France, membre de la Ligue française pour la Protection des Oiseaux, dans le n°22 du Journal des Oiseaux de janvier-février 1951. La Ligue lutte contre l’utilisation massive du D.D.T. (dichlorodiphényltrichloroéthane), puissant insecticide, massivement utilisé après la 2ème guerre mondiale.

Dans le même Journal des Oiseaux, je relève quelques mois plus tard dans le n°30 de mai-juin 1952, à la page intitulée Tribune de la Ligue Française pour la Protection des Oiseaux, un éditorial du Prince Paul Murat, Président de la Ligue Française pour la Protection des Oiseaux. Le voici in extenso :

 « Genre d’insectes coléoptères des régions tempérées, le hanneton vole lourdement, au figuré et familièrement : étourdi » : définition du dictionnaire Larousse.

Le hanneton est essentiellement herbivore, il cause, de grands dégâts, mais c'est surtout sa larve, le ver blanc, qui produit le plus de ravages, coupant les racines des jeunes plantes, en particulier les racines des betteraves ; sa vie sous- terre dure trois ans, c'est en effet Ia troisième année, après la ponte que, devenu hanneton, il sort de terre, s’envole et se pose sur les arbres, dévore les jeunes feuilles, puis le hanneton descend au sol pour pondre et meurt. Un nouveau cycle commence.

C'est au moment où les vols de hannetons se produisent que les attaques par pulvérisation commencent, d’une manière spectaculaire et tapageuse. Les destructions sont massives. Les chiffres de hannetons détruits sont impressionnants, sur les destructions de tous les autres insectes, c’est le silence ; la répercussion sur la faune, c'est également le silence. De loin en loin dans la presse, un article laisse entendre que, pour les abeilles, il n'y a rien à craindre, les pertes sont insignifiantes. Tous, nous connaissons des apiculteurs, il suffit de les écouter parler pour savoir que c'est une catastrophe. Il n’est pas un ami de notre faune ornithologique qui n'ait observé que, dans les bois, les remises, les garennes, si pleins de chants en avril et mai, après les traitements, c’est le vide, et comment en serait-il autrement, même en admettant que les poisons n'agissent pas sur les oiseaux, ceux-ci ne peuvent plus se nourrir, ni nourrir leurs petits, puisque les insectes, Ia principale pâture de tous les oiseaux des bois qui élèvent des jeunes, sont morts, les oiselets au nid meurent de faim et les parents vont au loin chercher tranquillité et pâture.

L'opération hanneton est d’un prix élevé : quatre mille francs par hectare, avons-nous tous pu lire dans la presse, qui paye le syndicat des producteurs de betteraves, les ressources du syndicat viennent de ses adhérents, les producteurs de betteraves, qui, bien entendu, sont obligés de comprendre cette dépense dans le prix de revient des betteraves vendues à la sucrerie. C’est donc, en définitive, nous tous, les consommateurs, qui faisons les frais des opérations spectaculaires qui, si elles détruisent les hannetons par irritation du système nerveux (nous avons tous pu voir mourir, dans une agitation frénétique, des mouches attaquées au D.D.T. et autres produits similaires), ne sont peut-être pas sans action sur le système nerveux des petits mammifères, des poissons et des batraciens.

 

Hanneton commun ©Roger Puff

Hanneton commun ©Roger Puff

Pendant qu'à grands frais se poursuit l’Opération Hanneton, par ordre des préfets, les freux sont détruits parce qu'ils ont le malheur d’être de la famille des corbeaux.

Les freux nourrissent leurs jeunes uniquement de coléoptères, donc de hannetons, d’insectes, de vers blancs et autres, et même de petits rongeurs, ils sont, à l'époque des jeunes absolument utiles. A Etrepagny, il a été possible d’avoir une idée du nombre de hannetons détruits par les freux, en employant les mêmes méthodes que pour le poudrage, on a obtenu, en vingt-quatre heures, soixante à soixante-quatre hannetons au mètre carré, ce qui, pendant les seize jours de Ia nourriture au nid, donne neuf cent soixante hannetons au mètre carré. Il est juste de reconnaître que les freux ne sont pas électeurs, ne paient pas d’impôts et sont absolument désintéressés, la loi oblige leur destruction.

Ne serait-il pas possible de poursuivre en même temps que les opérations « Hanneton », une expérience « Freux ». Il serait intéressant que les producteurs de betteraves connaissent le bilan utile des Freux qui élèvent leurs petits dans les Corbeautières, ils sauraient, ainsi, où est leur intérêt bien compris, c’est facile, à peu de frais.

Le Hanneton est étourdi, on dit d’un être un peu bizarre : il a un hanneton dans le cerveau. II faut que les prix baissent, on entreprend une opération hanneton et on détruit les freux, une histoire de fous. »

Le Prince Paul Murat est ornithologue. Il descend de Joachim Murat (1767-1875), roi de Naples, et de son épouse Caroline Bonaparte (1782-1839), sœur de Napoléon 1er. Il a été président-adjoint de la Ligue Française pour la Protection des Oiseaux sous la présidence de Jean Delecour. Paul Murat et les autres fondateurs de ce qui allait être la LPO se sont donné pour mission la défense des oiseaux. Ils s’insurgent donc contre l’abus du D.D.T., insecticide puissant, utilisé dans l’Opération Hanneton, où il sera déversé largement dans des actions destinées à préserver les cultures et notamment la betterave.

Dans Combat du 30 avril 1953, le journaliste E. Mannoni décrivait dans son article L'Opération hanneton fait rage la guerre sans pitié livrée aux coléoptères, déclarés ennemis de l’agriculture nouvelle de l’après-guerre :

« Les hannetons sont assaillis de tous côtés [...]. On les nébulise, on les pulvérise, on les atomise. »

Nous ne sommes que 8 ans après Hiroshima et Nagasaki... la référence est forte.

Un article, publié en Suisse dans Journal et Feuille d’avis du Valais du 5 novembre 1954, donnait l’exemple de la Picardie :

« […] l'Opération Hanneton 1952 s'est étendue dans l'Oise sur une surface de 40.000 ha dont 25.000 ha en culture, et dans l'Aisne sur 60.000 ha. En tout donc sur 100.000 ha. Cet immense territoire a été littéralement nébulisé, poudre, inondé de produits chimiques à base d'Isomère Gama pur (HCH) de SPH ou de DDT ».

Hannetons de la Saint-Jean in copula (Amphimallon solstitialis) ©Joël Tribhout

Hannetons de la Saint-Jean in copula (Amphimallon solstitialis) ©Joël Tribhout

A juste titre la LPO voyait avant tout dans ces opérations le risque d’atteinte aux oiseaux insectivores et ne se posait pas en défenseur de l’insecte.

Le D.D.T. sera interdit dans la plupart des pays dès les années 1970 du fait de ses effets néfastes sur l’environnement et la santé. L’impact du livre de la biologiste américaine Rachel Carson « Silent Spring », en français « Le Printemps silencieux », publié en 1962 'en France en 1968, a largement contribué à son interdiction, qualifiant d’élixirs de mort les pesticides.

Mais comme on le sait, d’autres insecticides viendront remplacer le D.D.T. dans l’arsenal de lutte contre les ravageurs des cultures. C’est une longue histoire qui dépasse mon propos sur un insecte au vol balourd, qui sévit toujours. J’en veux pour témoin des invasions de millions de hannetons forestiers, Melolontha hippocastani, en 2015 dans les forêts alsaciennes et en 2016 dans les forêts de Laigue et Compiègne dans l’Oise. L’O.N.F. surveille au plus près les éclosions périodiques, les imagos ravageant les feuilles des arbres sur lesquels ils se posent en masse pour se reproduire, les larves sévissant ensuite trois ans durant en s’attaquant aux racines des jeunes pousses.

Comme quoi il y a encore des hannetons, mais pour combien de temps encore ?

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