La pudibonde

Publié le 26 Mars 2015

Des amies de l’Agrion de l’Oise nous ont fait parvenir des photos d’une même espèce de chenille prises l’an dernier en forêt d’Halatte.

la pudibonde ©Elise

la pudibonde ©Elise

Il s’agit d’une jolie chenille vert tendre aux longs poils en brosse avec des touffes rousses sur le dessus et un épi de poils rouge-brun sur le segment de queue. La chenille, polyphage, se nourrit surtout de feuilles. Au début, les chenilles vivent en colonies. Leurs longs poils permet au vent de les disperser dans les environs immédiats. Elles se métamorphosent dans un cocon au sol, dans les fissures de l’écorce des arbres ou sous les pierres. La chrysalide hiberne et le papillon éclot entre fin avril et juillet.

C’est la chenille d’un papillon de nuit Calliteara pudibonda (ou Elkneria pudibonda, ou Dasychira pudibonda), nom vernaculaire Orgye pudibonde (d’après le comportement la chenille qui dissimulerait sa pudeur en se mettant en pelote pour à moins que ce soit du fait des rougeurs de sa physionomie) ou patte-étendue pour l’imago, lépidoptère de la famille des lymantridés avec thorax, tête et pattes très velus. L’espèce présente un dimorphisme sexuel important. Les adultes ne se nourrissent pas. La chenille n'est pas réputée nuisible.

J’ai cependant trouvé un texte présenté à l’Académie des Sciences en 1849 par Monsieur Eugène Chevandier « Notes dur les ravages produits en 1848 par l’Orgye pudibonde dans les forêts de hêtre du versant occidental des Vosges entre Phalsbourg et Cirey ».

Je vous en donne quelques lignes :

Au mois de septembre 1848, arrivant à Cirey après une longue absence, j’appris qu’une véritable invasion de chenilles avait lieu depuis quelques temps dans les forêts de hêtre. Les journaux d’Alsace, ceux de Lorraine en faisaient grand bruit, et les ravages produits par ces insectes s’étendaient avec rapidité.

L’auteur décrit bien notre chenille et indique que les chenilles, vulgairement appelées Rouge-Queue, Rotschwantz en allemand, étaient apparues en deuxième quinzaine de juillet, tout à côté de la ligne de chemin de fer de Paris à Strasbourg et du canal de la Marne au Rhin. Il décrit l’avancée inexorable des chenilles dans la direction NE-SO, assez parallèlement à la chaîne des Vosges avec une expansion à l’ouest vers Phalsbourg et la plaine. Les chenilles très vivaces au début étaient à la fin souvent immobiles comme repues... puis mortes sur des épaisseurs de 3 à 4cm exhalant une odeur très fétide. Il considère qu’il ne s’agit pas d’une migration des chenilles, qui seraient restées là où elles sont nées, mais de la répartition de la ponte des papillons.

Ia pudibonde ©Dominique

Ia pudibonde ©Dominique

Un marchand de bois avait noté en juin des nuées de petits papillons blancs voltigeant à l’approche de la nuit, au-dessus des grands arbres de la forêt de hêtres située derrière son habitation.

Ce sont probablement les Bombyces (autre nom du papillon Bombyx patte-étendue) qui se sont répandus vers l’ouest et le sud-ouest. Leurs chenilles avaient ravagé préférentiellement les hêtres, plutôt les futaies que les taillis, n’avaient attaqué les jeunes taillis ou les semis qu’après avoir dépouillé les vieux arbres. Ne trouvant plus de hêtres, elles ont attaqué les chênes, épargnant les bouleaux et les trembles, laissant intacts les résineux. Le comportement des chenilles était remarquable :

Généralement ces chenilles paraissent très impressionnables ; pour peu qu’on les touche ou qu’elles éprouvent une commotion, elles tombent des arbres et se roulent sur elles-mêmes en formant la pelote. On m’a assuré en avoir vu le sol couvert après le retentissement du tonnerre, mais je n’ai pas eu l’occasion d’observer ce fait par moi-même. Les pluies, les brouillards prolongés les font périr, et toutes leurs habitudes se ressentent de cette extrême susceptibilité.

Est-ce la raison pour laquelle elles ont laissé les lisières quasi intactes,, ne ravageant que la partie centrale des massifs forestiers ?

Après une copieuse discussion, l’auteur signale que la plupart des auteurs qui ont parlé de l’orgye pudibonde considéraient l’insecte comme peu dangereux et ne voyaient pas la nécessité de lutter contre. Ils estimaient que les ravages tardifs ne compromettaient pas la saison suivante et qu’une espèce d’ichneumide très commune contrôlait leur prolifération… Mais dans le cas présent l’auteur craignaient de fâcheuses conséquences, vu le nombre de chenilles qui pourraient aller jusqu’au stade papillon cette année. Il voyait des conséquences désastreuses pour l’économie locale fondée sur l’exploitation de la forêt. Il fondait l’espoir de voir s’arrêter le désastre par la prolifération parallèle des ichneumides et quelques mesures : enlèvement des feuilles dans les cantons envahis, introduction de porcs en automne et en hiver, brûlage des feuilles et des mousses… moyens facilement praticables de combattre ces invasions et d’aider les ichneumides dans l’accomplissement de la tâche à laquelle la nature paraît les avoir destinés.

Il concluait en déplorant la disparition des petits oiseaux insectivores.

Malheureusement la destruction de ces animaux paraît faire tous les ans des progrès, malgré les lois destinés à les protéger ; et cependant leur action continuelle, insuffisante peut-être pour arrêter les grandes invasions, tend au moins à la prévenir en limitant régulièrement la propagation annuelle des chenilles. Il serait bien urgent que de nouvelles mesures plus sévères, motivées sur l’intérêt général, mettent un terme à la guerre incessante que l’on fait à ces races d’oiseaux.

Ainsi en 1848, on craignait déjà le Printemps silencieux et on mettait en évidence toute l’importance de la biodiversité pour l’équilibre de la nature. 1500 hectares de forêts feuillues avaient été détruits.

.papillon Pudibonde ©Wikimedia Commons CC BY-SA 3.0. téléversé par Kulac

.papillon Pudibonde ©Wikimedia Commons CC BY-SA 3.0. téléversé par Kulac

L’ouvrage Mémoires de la Société d’émulation du Doubs paru en 1854, tenant compte de ces événements de 1848 rapportés plus haut, parle de couches de chenilles de 10 à 12 centimètres, de pèlerinages pour obtenir la cessation du fléau que les paysans avaient nommés Chenilles de la République, les voyant sans comme une suite des événements révolutionnaires de cette fameuse année 1848. Bien qu’aucun autre phénomène de l’importance de l’invasion de 1848 ne soit connu, l’ouvrage place l’Orgye pudibonde au rang de lépidoptère nuisible.

A noter que cet ouvrage donne une très belle planche illustrée de la chenille et de son papillon (voir sur googlebooks).

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M
Beau texte instructif cher Ami des insectes ! Et bien jolies photos pour une aussi vilaine chenille destructrice de nos hêtres et chênes!
Répondre
R
mais rassurez-vous amis des chênes et des hêtres, apparemment la cata de 1848 ne s'est pas reproduite