Des insectes et du biomimétisme en 1790

Publié le 26 Octobre 2014

Voilà ce que l’on peut lire dans un opuscule publié aux Pays-Bas, à Utrecht en 1791 « La Flore des Insectophiles précédée d’un discours sur l’utilité des Insectes et de l’étude de l’Insectologie… » écrit par Jacques Brez, un pasteur vaudois, par ailleurs auteur d’une « Histoire des Vaudois ». J’aurais peut-être l’occasion de revenir sur cette Flore des Insectophiles pour d’autres thématiques.

Aujourd’hui je ne retiendrais que le passage intitulé « Les Insectes auraient pu nous apprendre plusieurs arts utiles » :

« Enfin, car il est temps de nous arrêter, l’étude des insectes aurait pu seule nous apprendre plusieurs arts utiles. Les Guêpes faisaient leurs nids d’une sorte de papier, avant même qu’on eu pensé à avoir des papeteries. On apprend avec plaisir, que l’art est parvenu de nos jours à imiter assez bien ces ouvrages de la Nature. On trouve en Amérique des Guêpes, auxquelles on a donné le nom de cartonnières, dont le nid est composé de plus beau carton, qui est d’une blancheur et d’un poli, que nos ouvriers ne surent jamais donner à leurs cartons. »

Je vous renvoie à mon précédent article « Nos amies les Guêpes » pour en savoir plus.

Après un produit : le carton, Jacques Brez va nous parler d’un outil :

« Les mouches à scie sciaient les branches de rosier, longtemps avant que nous eussions l’instrument, dont elles ont pris leur nom. Et cet instrument que nous possédons et qui nous est d’une si grande utilité, ne réunit pas à beaucoup près autant d’avantages que celui de la mouche. Il ne fait pour nous que les fonctions d’une scie, au lieu que celui de la mouche fait en même temps les fonctions d’une scie, d’une râpe et d’une lime. Ne pourrions-nous pas perfectionner notre instrument, en étudiant sérieusement le mécanisme de celui de la mouche ? »

Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des  Arts et des Métiers Diderot et d’Alembert

Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers Diderot et d’Alembert

Voici une mouche à scie, prise cet été le long de l'Azergues (dans le département du Rhône). C'est un insecte de l'ordre des hyménoptères, du sous-ordre des symphytes ou tenthrèdes, de la super-famille de tenthrendinidae. Les femelles possèdent un ovipositeur en forme de scie qui leur permet d'insérer leurs œufs dans les tissus des plantes dont se nourrissent les larves.

Sésie (Chamaesphecia sp) ©RogerPuff

Sésie (Chamaesphecia sp) ©RogerPuff

Remarquez le mimétisme avec les guêpes, mais il n'y a pas la "taille de guêpe". L'animal ne pique pas. Ce n'est pas une tenthrède mais un papillon, une Sésie (Chamaesphecia sp), peut-être la Sésie tenthrède (Chamaesphecia tenthrediniformis) qui mime une espèce de tenthrède. Les tenthredinidae sont phytophages. Leurs larves, appelée "fausses chenilles" car elles ne donnent pas de papillons, peuvent faire des ravages dans la végétation.

Autre outil, la pompe (image tirée de l'Encyclopédie Diderot et d'Alembert):

« Les papillons pompaient les liqueurs mielleuses des fleurs, les Cousins, la mouche commune, les punaises, suçaient le sang qui coule de nos veines, etc. longtemps avant que nous connussions les pompes aspirantes ; et quelle différence entre le nombre et la variété des fonctions auxquelles ces pompes naturelles sont propres, et celui de nos pompes, même les plus parfaites ! »

Tristan ©RogerPuff

Tristan ©RogerPuff

Et à présent, la tarière (gravure d'Albrecht Durer) ou la perceuse :

« Nous ne connaissions, sans doute, pas encore les instruments avec lesquels nous perçons le bois et le matières plus dures encore, lorsque l’Abeille perce-bois perçait et creusait déjà de la manière la plus simple de vieux troncs d’arbres, lorsque les Ichneumons introduisaient déjà leur aiguillon à travers la paroi des nids de guêpes des murailles, formés d’une matière très dure, pour y déposer leurs œufs et y faire croitre les larves qui doivent en sortir, aux dépens de l’habitante naturelle du nid. »

abeille xylophage ©RogerPuff

abeille xylophage ©RogerPuff

Et voilà l’art de bâtir :

« Nous étions à coup sûr peu avancés dans l’art de la Maçonnerie, lorsque les fameux Termites, de la grosseur de nos fourmis des bois, bâtissaient, en Afrique et en Asie, des nids de la hauteur de quinze à seize pieds, sur lesquels la pioche n‘a presque aucune prise ; et qu’ils bâtissaient, toute proportion gardée, en beaucoup moins de temps que nos ouvriers les plus habiles ne l’auraient fait. »

Voyage au Cap de Bonne-Espérance et autour du monde avec le Capitaine Cook, et principalement dans le pays des Hottentots et des Caffres] / [Non identifié] ; George Forster, André Sparrman, aut. du texte

Voyage au Cap de Bonne-Espérance et autour du monde avec le Capitaine Cook, et principalement dans le pays des Hottentots et des Caffres] / [Non identifié] ; George Forster, André Sparrman, aut. du texte

Jacques Brez termine son chapitre sur des considérations à connotation religieuse sur l’importance de l’Insectologie, qu’il place manifestement avant les autres domaines des sciences du vivant.

« Que conclurons nous de tout ce que nous avons avancés dans ce discours , -- que l’Insectologie mérite au moins autant de nous occuper que tout autre science ; qu’étant plus propre qu’aucune autre partie de l’histoire naturelle, à nous donner à chaque instant les preuves les plus éclatantes de la Sagesse, de la Bonté, de l’Intelligence sans bornes du CREATEUR de l’univers, elle mérite d’autant plus d’être l’objet de nos loisirs et de nos méditations. Mais lorsque je nomme l’Insectologie, j’entends par là la vraie science des insectes, telle qu’elle a été traitée par un SWAMMERDAM, par un REAUMUR, par un BONNET. Je ne parle nullement de la science de nos Insectologues les plus modernes, qui ne consiste guère que dans la connaissance des noms classifiques, génériques et spécifiques des insectes ; cette étude, si tant qu’on puisse lui en donner le nom, n’étant pas, suivant moi, digne d’un bon esprit, d’un homme raisonnable, elle ne mérite pas qu’on la mettre en ligne de compte. »

Mais ce faisant il oppose les classificateurs, qu’il rejette, aux observateurs. Ces derniers sont les précurseurs de l'éthologie, l'étude du comportement des diverses espèces animales, branche de la biologie animale remontant au 17ème siècle, mais dont la dénomination n’apparaitra qu’en 1854 sous la plume du naturaliste Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (1805-1861). Les Français Réaumur (1683-1757) et plus tard Jean-Henri Fabre (1823-1915) en sont les représentants les plus connus pour ce qui concerne l’entomologie. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces entomologistes, ainsi que sur le néerlandais Jan Swammerdam (1637-1680), qui étudia la métamorphose des insectes grâce au microscope, et le suisse Charles Bonnet (1720-1793), à qui on doit la description de la parthénogenèse chez le puceron.

Si en 1790, on constatait que les insectes auraient pu inspirer les inventeurs, aujourd’hui on pense que l’on doit s’inspirer de la nature pour découvrir de nouveaux procédés, de nouveaux matériaux, de nouvelles molécules. Les anglophones parlent de biomimicry.

Le site de l’Association Biomimicry Europa annonce comme phrase-vocation « Promouvoir le biomimétisme : quand la nature inspire la durabilité » et précise :

« Le biomimétisme, défini par Janine Benyus[i] en 1997, est une démarche d’innovation, qui fait appel au transfert et à l’adaptation des principes et stratégies élaborés par les organismes vivants et les écosystèmes, afin de produire des biens et des services de manière durable, et rendre les sociétés humaines compatibles avec la biosphère. »

C’est le but que se fixe le CEEBIOS (Centre européen d’excellence en biomimétisme de Senlis), qui se veut un centre de développement économique et scientifique s’inspirant du vivant.

[i] Biomimicry : Innovation Inspired by Nature by Janine M. Benyus, Sept. 1, 1997, (ISBN 0060533226) ou en français Biomimétisme : Quand la nature inspire des innovations durables Janine M. Benyus, Rue de l'échiquier, mai 2011.

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M
Très intéressant et preuve que nous avons perdu un peu de temps.... 1791 :&quot;Les insectes auraient pu nous apprendre plusieurs arts utiles.&quot;... papier et carton, scies, pompes, perceuses, habitations...&quot; Mais où sont passées les leçons des choses ? :)<br /> http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-la-lecon-de-choses-a-l-ecole-de-jules-ferry-21400.php
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