Publié le 23 Août 2020

Le Paon du jour, Inachis io © Roger Puff

Le Paon du jour, Inachis io © Roger Puff

Parcourant mes vieux grimoires, je tombe sur un article titré Le Papillon décrit par Linné dans une revue L’Amateur d’Histoire naturelle publiée en 1905, plus précisément dans le n°5 daté 10 novembre de la première année de parution.

Le directeur de la revue est Alphonse Labitte (1852-1934) - poète, journaliste, enlumineur et entomologiste - dont j’ai eu l’occasion d’étudier la bibliographie et la biographie. Elle est présentée dans la revue Insectes de l'OPIE (n°191 - 2018 (4).

Il a fondé cette revue mensuelle plus particulièrement à l’attention des enfants pour leur faire comprendre et aimer la nature en y traitant de botanique, de biologie, de géologie, par des mots simples à leur portée.

Malheureusement pour des raison manifestement financières sans doute par manque d'abonnés, il n'y aura pas de suite à ce numéro 5. Dommage les premiers numéros laissaient augurer de beaux articles de vulgarisation par des rédacteurs compétents.

 

L'Ecaille villageoise, Arctia villica © Roger Puff

L'Ecaille villageoise, Arctia villica © Roger Puff

Le but que se fixe la revue est précisé dans le numéro 1 du 10 juillet 1905 :

"Nous suivrons les regards de l'enfant étonné et nous chercherons à répondre à tous ces pourquoi qui se pressent sur ses lèvres, dès qu'il commence à contempler le merveilleux spectacle qu'il a sous les yeux. […]

S'il cueille une fleur au bord d'un sentier, nous l'examinerons avec lui et nous lui révèlerons la finesse et l'étonnante complication de ses tissus. Le brin d'herbe nous dira son secret, ce secret de la vie qui, dans ses manifestations les plus humbles, demeure encore la plus belle leçon que nos cœurs puissent apprendre. "

L'Aurore, Anthocharis cardamines, mâle © Roger Puff

L'Aurore, Anthocharis cardamines, mâle © Roger Puff

"Lorsque son regard amusé suivra la marche lente du colimaçon, la course fiévreuse de la fourmi ou le vol insouciant du papillon, nous lui parlerons des insectes, de l'existence qu'ils mènent et du rôle extraordinaire que jouent ces êtres en apparence insignifiants dans l'immense nature. La fourmilière ne sera plus pour lui le petit tas de terre, ou l'on donne un coup de pied en passant, mais la cité merveilleuse où chacun accomplit silencieusement sa tâche, dans l'intérêt de tous.

Il ne verra plus dans l'abeille la vilaine bête qui pique, mais l'étonnante ouvrière qui ne se lasse jamais d'aller puiser dans les fleurs les sucs capiteux, qu'elle transforme ensuite en miel, Nous lui montrerons l'usine où ce travail s'opère, la ruche laborieuse, chef-d'œuvre de patience et d'organisation. Mais nous ne nous contenterons pas seulement de faire appel à l'intelligence de l'enfant, nous parlerons encore à son cœur. Nous lui inspirerons le respect de tous les animaux qui l'entourent, et nous lui répéterons souvent qu'ils ne sont pas de simples jouets, mais des serviteurs utiles, qu'il faut traiter avec bonté. Etc."

Le Demi-deuil, Melanargia galathea © Roger Puff

Le Demi-deuil, Melanargia galathea © Roger Puff

Mais venons-en à cet article sur le papillon où le rédacteur fait parler Linné.

"Regarde, s'écrie Linné qui se montrait poète à force d'être savant, regarde les grandes ailes, si élégantes et si richement peintes du papillon ; elles sont au nombre de quatre, et couvertes de petites écailles comme de plumes délicates. A l'aide de ces ailes, il se soutient dans l'air tout un jour ; il rivalise avec le vol de l'oiseau, avec le luxe du paon. Considère l’insecte dans sa marche à travers la vie ; combien il diffère, dans la première période, de ce qu'il sera dans la seconde, et combien ces deux états diffèrent de ce que sont les auteurs de ses jours !

La Mégère, Lasiommata megera © Roger Puff

La Mégère, Lasiommata megera © Roger Puff

"Ses changements sont pour nous une énigme inexplicable : nous voyons une chenille verte, avec seize pieds ; elle se nourrit des feuilles vertes des plantes ; plus tard, elle se change en chrysalide lisse, d'un lustre doré, qui se suspend à un point fixe, qui vit sans pieds et qui subsiste sans nourriture. Cet insecte subit encore une autre transformation, il acquiert des ailes, il a maintenant six pattes, il devient un gai papillon, s'ébattant dans l'air et vivant par voie de succion sur le miel des plantes. La nature a-t-elle produit un être plus digne de notre admiration que cet animal venant sur la scène du monde et y jouant son rôle sous tant de masques différents ? "

Le Machaon, Papilio machaon © Roger Puff

Le Machaon, Papilio machaon © Roger Puff

"Les anciens étaient si frappés des transformations du papillon, de sa renaissance - à la suite d'une mort apparente - qu'ils l'avaient considéré comme l'emblème de l'âme. Le mot grec psyché signifie à la fois âme et papillon et c'est pour cette raison que cet insecte figure dans les emblèmes allégoriques comme un symbole d'immortalité. Devant cette description ravissante un poète contemporain écrivit ces vers sur le papillon :"

 

La Petite Tortue, Aglais urticae © Roger Puff

La Petite Tortue, Aglais urticae © Roger Puff

"Le Papillon

 

Un papillon voltigeait dans l'espace

Léger, brillant, habillé de vermeil ;

Il s'élevait ou planait avec grâce,

Ivre d'azur et grisé de soleil.

Le Robert-le-Diable, Polygonia c-album © Roger Puff

Le Robert-le-Diable, Polygonia c-album © Roger Puff

"Je contemplais la divine sveltesse

De son corps ceint des plus vives couleurs :

Avec quel art, avec quelle prestesse

Il effleurait, en passant, quelques fleurs !

 

Mais il semblait dédaigner les plus belles

Et s'éloignait par bonds capricieux ;

Puis, éployant ses magnifiques ailes

Il reprenait sa course vers les cieux. "

 

L'Azuré de la Bugrane, Polyommatus icarus © Roger Puff

L'Azuré de la Bugrane, Polyommatus icarus © Roger Puff

"II s'élevait, il s'élevait sans cesse

Trouant l'azur de ses antennes d'or,

Montant toujours comme avec allégresse,

Disparaissant pour reparaitre encor...

……………………………………………………..

 Le Tircis, Pararge aegeria © Roger Puff

Le Tircis, Pararge aegeria © Roger Puff

Ce n'était plus qu'une petite flamme

Qui s'éteignit dans un dernier rayon,

Et je me dis : c'était peut-être une âme

Qui s'envolait avec ce papillon !"

N.d.R. Je vous avoue ne pas avoir trouvé le poète contemporain, auteur de ce poème. Je soupçonne qu’Alphonse Labitte en soit lui-même l’auteur, mais ce poème ne figure pas dans les œuvres éditées.

Mais reprenons l’article où nous l’avons laissé.

 L'Acidélie ornée, Scopula ornata,© Roger Puff

L'Acidélie ornée, Scopula ornata,© Roger Puff

"Mais achevons de laisser parler Linné :

« Si insignifiante donc, peut-être si méprisable que puisse sembler, à ceux qui ne réfléchissent pas, l'étude d'un papillon, ce n'est pas, il s'en faut de beaucoup, un être insignifiant. Comment ne point être saisi d'étonnement et d'admiration quand on considère l'art déployé dans le mécanisme d'une si mince créature. - Les fluides circulant dans des vaisseaux si petits qu'ils échappent à la vue ; la beauté des ailes et la peinture qui les recouvre - enfin, la manière dont chaque partie se trouve adaptée à des fonctions particulières ! C'est le cas de nous écrier avec Paley: « l'idéal de la beauté était aussi bien présent dans l'esprit du créateur quand il peignit un papillon que lorsqu'il donna la symétrie à la forme humaine. »

A.L. de Camprémy"

Le Géomètre à barreaux, Chiasmia clathrata (à confirmer)© Roger Puff

Le Géomètre à barreaux, Chiasmia clathrata (à confirmer)© Roger Puff

Commentaires

Paley cité ici est probablement William Paley (1743-1825), un théologien anglais dont les écrits ont fortement influencé Charles Darwin. La citation est peut-être tirée de Théologie naturelle ou Preuves de l'existence et des attributs de la divinité, tirées des apparences de la nature, paru en Angleterre en 1802, en 1813 en France. Nous reviendrons ientôt sur les écrits de William Paley à propos des insectes.

Quant à A. L. de Camprémy, il n’est autre qu’Alphonse Labitte lui-même. Il a pris ce pseudonyme pour certaines de ses œuvres de chansonnier et pour quelques articles de la revue, y compris le courrier des lecteurs. Camprémy, dans l’Oise, est le village d’origine de son père.

Roger Puff

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Publié le 16 Août 2020

Isodontia mexicana devant l'hôtel à insectes © Michel Huyvaert

Isodontia mexicana devant l'hôtel à insectes © Michel Huyvaert

Isodontia mexicana devant les alvéoles plastiques © Michel Huyvaert

Isodontia mexicana devant les alvéoles plastiques © Michel Huyvaert

Au pied des vestiges du château de Verneuil-en-Halatte, départ du Sentier de la Biodiversité aménagé par la municipalité avec le concours de l’Agrion de l’Oise, il y a un hôtel à insectes. Au printemps cet hôtel a vu le manège des abeilles sauvages, des osmies.

Mais en juillet, ce sont d’autres hyménoptères qui ont mené la danse autour de cet hôtel. Il s’agit d’un hyménoptère tout noir de la super-famille des Apoidea, famille des Sphecidae (les guêpes fouisseuses), du genre Isodontia, genre appartenant à la sous-famille des Sphecinae comme le genre Sphex. Et oui c’est compliqué la classification des hyménoptères…

Isodontia mexicana avec sa proie, une petite sauterelle verte © Michel Huyvaert

Isodontia mexicana avec sa proie, une petite sauterelle verte © Michel Huyvaert

Isodontia mexicana vue de face avec sa proie © Michel Huyvaert

Isodontia mexicana vue de face avec sa proie © Michel Huyvaert

Venons en au fait, il s’agit d’Isodontia mexicana, encore appelée Isodonte mexicaine ou Sphex du Mexique. Cet insecte est originaire d'Amérique centrale et du Nord, récemment venu en Europe occidentale. C’est une guêpe solitaire d’une vingtaine de millimètres. Son thorax et sa tête sont couverts d’une pilosité blanche. Comme pour les Sphex, un long pétiole relie le thorax à l’abdomen.

Proches d'elle il y a Isodentia spendidula à l’abdomen partiellement rouge et qui a le même mode de vie et notamment partage les mêmes proies, ainsi que I. paludosa, également toute noire, mais au pétiole plus court.

Isodontia mexicana apportant un brin d'herbe sèche © Michel Huyvaert

Isodontia mexicana apportant un brin d'herbe sèche © Michel Huyvaert

Isodontia mexicana avec le brin d'herbe sèche devant les alvéoles © Michel Huyvaert

Isodontia mexicana avec le brin d'herbe sèche devant les alvéoles © Michel Huyvaert

Cet insecte n’est pas agressif, il se nourrit de nectar. Les femelles bâtissent leurs nids dans des branches creuses. C’est pourquoi elles apprécient les tiges creuses des hôtels à insectes. Dans cet hôtel, il y a également des structures en plastique avec des cavités parallélépipédiques manifestement plus logeables.

Les Sphex, quant à eux, bâtissent leurs nids en creusant le sol. Mais comme les Sphex grillivores (mangeurs de grillons), Isodontia mexicana est une guêpe prédatrice qui chasse les petites sauterelles. Elle les capture et les paralyse avec son aiguillon, les introduit dans un nid (une tige creuse ou une cavité du panneau plastique) et pond dessus entre ses pattes (la sauterelle est mise sur le dos chez les Sphex). Puis elle ferme la cavité avec des herbes sèches qui sont toujours prises aux alentours des nids et non dans les pailles garnissant l'hôtel à insectes.

Insistons sur le fait que l'Isodonte adulte ne mange pas la sauterelle, cette proie est uniquement destinée à sa larve qui aura besoin de protéines pour se développer.

 

Isodontia mexicana à l'entrée d'une alvéole © Michel Huyvaert

Isodontia mexicana à l'entrée d'une alvéole © Michel Huyvaert

A l’éclosion des œufs quelques semaines plus tard, les larves auront à leur disposition de la chair fraiche pour se nourrir, les sauterelles n’étant pas mortes. Les larves tisseront un cocon et les imagos en sortiront 2 à 3 semaines plus tard.

Les femelles étaient nombreuses devant l'hôtel à insectes. il y avait probablement des mâles autour d'elles, mais il n'a pas été observé d'accouplement. Cette guêpe est "solitaire" (ne vit pas en société avec une reine comme d'autres guêpes) mais est grégaire comme les abeilles sauvages (nombreux couples au même endroit).

Michel Huyvaert a eu l’occasion de photographier les femelles avec leurs proies ou garnissant les nids.

Il ne reste plus qu’à attendre la sortie des adultes.

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Publié le 7 Août 2020

Poursuivons avec Joël Tribhout cet article sur la vie aquatique et aérienne des Odonates.

Les Odonates ont pondu. leurs œufs vont éclore.

Larve aquatique ©Joël Tribhout

Larve aquatique ©Joël Tribhout

Une fois l’éclosion faite, c’est maintenant aux larves aquatiques d’assurer leur avenir. 

Cela dit si la météo est défavorable, l’œuf arrêtera son développement et entrera en diapause (repos).

Masque mentonnier de la larve ©Joël Tribhout

Masque mentonnier de la larve ©Joël Tribhout

Il faudra environ 11 à 13 mues, en au minimum 15 jours jusqu’à deux ou trois années, avant que la larve qui a commencé sa transformation sorte de l’eau. Cette sortie est principalement conditionnée par la température de l’eau et l’abondance de proies. Comme les insectes finis, les larves sont carnassières. Elles se nourrissent de larves d’insectes, par ex. larves de moustiques, d'alevins de poissons, de petits crustacés. Elles peuvent aussi consommer des larves d'odonates d'autres espèces, voire de leur propre espèce.

Pour attraper sa proie, la larve est équipée d’un masque mentonnier. C’est une sorte de bras articulé sous son menton équipé de deux crochets qu’elle déplie rapidement pour capturer ses proies.

Cette femelle d’Æschne bleue, Aeshnia cyanea, en cours de maturation a abîmé 2 de ses ailes ©Joël Tribhout

Cette femelle d’Æschne bleue, Aeshnia cyanea, en cours de maturation a abîmé 2 de ses ailes ©Joël Tribhout

Voici la dernière phase qui va transformer la larve aquatique en libellule terrestre : l’émergence.

Ceci nécessite nombre de transformations physiologiques et morphologiques. Il lui faudra passer d’une respiration aquatique à une respiration aérienne.

Cette métamorphose a déjà commencé dans l’eau. Si les émergences ont lieu dès la tombée de la nuit, on peut observer ce spectacle à l’aube.

Ce même mois de juillet 2017, j’arrive vers 8h du matin et oh surprise, j’aperçois une larve qui grimpe le long d’un roseau. Le support doit être le plus nu possible afin d’éviter d’abîmer ses ailes encore fragiles.

Larve d'Anisoptère (Lubellule) sortant de l'eau©Joël Tribhout

Larve d'Anisoptère (Lubellule) sortant de l'eau©Joël Tribhout

La libellule sort de sa carapace ou exuvie ©Joël Tribhout

La libellule sort de sa carapace ou exuvie ©Joël Tribhout

Suite de la sortie de l'exuvie ©Joël Tribhout

Suite de la sortie de l'exuvie ©Joël Tribhout

la libellule sur son exuvie ©Joël Tribhout

la libellule sur son exuvie ©Joël Tribhout

Je suis tout excité car c’est une première. Je prépare mon appareil et J’attends. Par chance il fait très beau. Plusieurs facteurs peuvent mettre la vie de cette Odonate en péril. Un vent violent, la pluie mais surtout des prédateurs tels les grenouilles et les oiseaux.

La libellule attand que sa carapace et ses ailes soient sèches ©Joël Tribhout

La libellule attand que sa carapace et ses ailes soient sèches ©Joël Tribhout

Elle arrête sa progression sur le roseau et je peux observer par transparence, notamment au niveau des yeux, que la métamorphose avait bien commencé dans l’eau. Doucement le thorax se gonfle, puis il se déchire au niveau des fourreaux alaires.

Je vois apparaître le thorax, la tête, les pattes et en dernier les ailes toutes fripées. Quelques secondes de repos la tête en bas et par de petits mouvements de balancier, la libellule se retrouve tête en haut en s’accrochant à son exuvie. Tout son corps est sorti. Doucement les ailes irriguées par l’hémolymphe (le sang), se déploient telles les voiles d'un voilier. Cette transformation totale aura demandé 2 h.  Une fois le durcissement des ailes terminé, L’Odonate est prêt pour son premier vol. Les couleurs définitives apparaîtront 2 à 3 jours plus tard.

Demoiselle (Zygoptère) posée sur son Exuvie ©Joël Tribhout

Demoiselle (Zygoptère) posée sur son Exuvie ©Joël Tribhout

Il ne vous reste plus qu’à vous installer au bord d’un point d’eau et de vous laisser charmer par le ballet des Libellules et des Demoiselles

Joël Tribhout (texte et photos)

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Publié le 1 Août 2020

La libellule au bord de l'étang ©Joël Tribhout

La libellule au bord de l'étang ©Joël Tribhout

Les insectes aquatiques sont nombreux et on peut dire que les Odonates, pour bon nombre d’entre eux, font partie de cet univers car ils passent plus des deux tiers de leur vie dans l’eau à l’état larvaire.

Nous allons entrer dans le vif du sujet en utilisant ce terme d’Odonates. Odonate vient du grec, odo (dent) et nate déformation de (gnath), mâchoire qui veut dire mâchoire dentée.

L’ordre des Odonates (Odonata) comprend deux sous-ordres ;

- les Libellules ou Anisoptères, et

- les Demoiselles ou Zygoptères.  

Avec les Éphémères (ordre des Ephemeroptera), les Odonates sont considérés par les paléontologues comme étant les insectes les plus anciens apparus sur terre. On remonte à 320 millions d’années, au Carbonifère. Les premiers représentants de cet ordre, les Méganisoptéres, dépassaient les 70 cm d’envergure.

On ne va pas vous inonder de termes scientifiques mais seulement les plus importants pour vous emmener à la découverte du monde extraordinaire de ces insectes qui hypnotisent petits et grands.

Demoiselle Caloptéryx vierge mâle, Calopteryx virgo (Zygoptère) ©Joël Tribhout

Demoiselle Caloptéryx vierge mâle, Calopteryx virgo (Zygoptère) ©Joël Tribhout

Libellule déprimée immature, Libellula depressa (Anisoptère) ©Joël Tribhout

Libellule déprimée immature, Libellula depressa (Anisoptère) ©Joël Tribhout

Différencier les libellules est souvent délicat pour le commun des mortels. Pourtant la différence est évidente. Si la couleur nous donne une première indication sur l’identité de l’animal, il faut regarder d’autres critères plus parlants.

Pour les Zygoptères, les ailes sont soit repliées à l’horizontale (Agrions, Caloptéryx,…), soit entrouvertes à l’oblique vers l’arrière au repos (Lestes). Comme pour les Anisoptères, chaque paire d’ailes est presque d’égale grandeur et actionnée par deux muscles séparés situés à la base des ailes, contrairement aux autres insectes où le mouvement des ailes est déterminé par les déformations de l’exosquelette dues aux muscles thoraciques.

L’Agrion délicat, Ceriagrion tenellum ©Joël Tribhout

L’Agrion délicat, Ceriagrion tenellum ©Joël Tribhout

Le vol des Zygoptères est le plus souvent incertain. Pour les Agrions l’abdomen est dit en forme d’allumette (photo 4) alors que pour les Lestes et les Caloptéryx il est un peu plus gros.

Les yeux très écartés d’un Agrion, Coenagrion sp. ©Joël Tribhout

Les yeux très écartés d’un Agrion, Coenagrion sp. ©Joël Tribhout

Les yeux sont petits et bien séparés. Chaque œil est composé d’environ 10 000 yeux simples ou ommatidies avec une vision à 360°.

 

Vol en stationnaire de l’Æschne Mixte, Aeshnia mixta ©Joël Tribhout

Vol en stationnaire de l’Æschne Mixte, Aeshnia mixta ©Joël Tribhout

Pour les Anisoptères ou libellules qui font l’hélicoptère au-dessus des rivières et étangs, les ailes sont au repos toujours dépliées à l’horizontale ou légèrement repliées vers l’avant et sont de tailles différentes. Les ailes postérieures sont plus larges que les antérieures. Le vol de ces libellules est très impressionnant. Elles peuvent planer, virer de gauche à droite, rester en vol stationnaire, descendre, monter à la verticale et voler en arrière.

Dans les yeux d’une Æschne bleue, Aeshnia cyanea ©Joël Tribhout

Dans les yeux d’une Æschne bleue, Aeshnia cyanea ©Joël Tribhout

A la différence des Zygoptères, leurs yeux composés occupent la plus grande partie de la tête et vont même parfois jusqu’à se toucher.  On peut compter 28 000 à 30 000 facettes connectées individuellement au cerveau. Une proie en mouvement peut être détectée à une distance de 40 m.

Abdomen d’une libellule fauve mâle, Libellula fulva ©Joël Tribhout

Abdomen d’une libellule fauve mâle, Libellula fulva ©Joël Tribhout

Leur abdomen est plus large que celui des Demoiselles, voire aplatis chez certaines comme la libellule déprimée.

Antennes d’une Petite Nymphe au corps de feu, Pyrrhosoma nymphula ©Joël Tribhout

Antennes d’une Petite Nymphe au corps de feu, Pyrrhosoma nymphula ©Joël Tribhout

On peut observer chez les Odonates deux petites antennes qui partent du front. On pense qu’elles sont garnies de capteurs chimiques et tactiles leur permettant de détecter les vibrations, le contrôle du vol et peut-être apprécier la température de l’eau lors de la ponte.

Cercoïdes chez la libellule mâle, Cordulégastre annelé, Cordulogaster boltonii ©Joël Tribhout

Cercoïdes chez la libellule mâle, Cordulégastre annelé, Cordulogaster boltonii ©Joël Tribhout

Il existe une particularité originale dans la morphologie de l’abdomen constitué de 10 segments chez les mâles. Celui-ci se termine par des appendices abdominaux constitués de deux cerques (cercoïdes), permettant d’attraper les femelles par l’arrière de la tête lors de l’accouplement.

Coeur copulatoire chez un couple de Caloptéryx vierges, Calopteryx virgo ©Joël Tribhout

Coeur copulatoire chez un couple de Caloptéryx vierges, Calopteryx virgo ©Joël Tribhout

Chez les Odonates, l’organe copulatoire se situe sous le second segment abdominal, alors que le pore génital où sont stockés les spermatozoïdes se trouve sous le 9ème segment.

Avant l’accouplement, le mâle transfère en vol sa semence du 9ème au 2ème segment.

Accouplement de Petites Nymphes à corps de feu, Pyrrhosoma nymphula ©Joël Tribhout

Accouplement de Petites Nymphes à corps de feu, Pyrrhosoma nymphula ©Joël Tribhout

Accouplement d’Agrions à larges pattes, Platycnemis pennipes ©Joël Tribhout

Accouplement d’Agrions à larges pattes, Platycnemis pennipes ©Joël Tribhout

C’est pour cette raison, quand le mâle saisit la femelle derrière la tête avec ses pinces terminales, celle–ci ramène son abdomen et place sa pièce copulatrice sous le 2ème segment pour recevoir les spermatozoïdes et le couple forme ainsi cette très belle figure appelée « cœur copulatoire ».

Libellule Æschne Affinée, Aeshna affinis, pour une séance photo inoubliable ©Joël Tribhout

Libellule Æschne Affinée, Aeshna affinis, pour une séance photo inoubliable ©Joël Tribhout

Quand on veut partir à la découverte de ces insectes captivants il suffit de rechercher une mare, un étang, un lac, des tourbières ou des sources.

La plupart des Odonates restent à basse altitude mais il n’est pas rare d’en trouver à plus de 2000 m comme J’ai pu le constater au-dessus de Névache dans les Hautes–Alpes. Un tout petit nombre d’espèces vit dans tous types d’eau et ceci de la plaine à la montagne, on dit qu’elles sont ubiquistes.

Libellule Sympetrum fascié ou S. strié, Sympetrum striolatum ©Joël Tribhout

Libellule Sympetrum fascié ou S. strié, Sympetrum striolatum ©Joël Tribhout

L’Odonate est fascinant et J’ai passé de nombreuses heures à l’observer et à la photographier. Cet insecte a une double vie à la fois aquatique et aérienne. On dit qu’il est hémimétabole. La larve vit de quelques mois à plusieurs années dans l’eau, alors que l’adulte ne passera sa vie à voler que le temps d’un été. Ce sont aussi des insectes hétérométaboles car leur cycle est dépourvu du stade nymphal immobile que l’on peut constater chez les insectes holométaboles comme le papillon, où une métamorphose immobile (le cocon) se déroule entre la larve et l’adulte.

Ma curiosité m’a amené à faire de très belles rencontres jusqu’à les toucher. Comme je l’ai relaté dans d’autres articles sur le blog de « l’Agrion de l’Oise », je veux photographier les insectes au plus près, c’est-à-dire à 1 cm. Cela ne va pas sans déconvenue mais comme on dit, « le jeu en vaut la chandelle ». Si certains insectes se laissent approcher facilement, les Libellules et les Demoiselles sont assez farouches car leur vue est excellente et elles vous ont repéré bien avant que vous les ayez vues.

Crocothemis écarlate, Crocothemys erytraea, dans son habit d’apparat ©Joël Tribhout

Crocothemis écarlate, Crocothemys erytraea, dans son habit d’apparat ©Joël Tribhout

L’éthologie, c’est le comportement de l’animal dans son milieu naturel et c’est cela que je voulais expérimenter.  Pour la libellule, si vous la voyez et qu’elle reste sur place, il ne faut pas vous précipiter. Il faut user de patience et avancer lentement sans la quitter des yeux. Au moindre mouvement de tête qui pivote ou de battement d’ailes, je stoppe ma progression pendant quelques secondes. Puis je reprends mon approche dans une position en canard. Quand je ne suis plus qu’à quelques centimètres, je lui présente mon appareil à 1 cm en position grand angle et là, je dis que L’Odonate est en confiance, voire quasiment hypnotisé.

Une Caloptéryx vierge femelle, Calopterys virgo,  s’apprête à déguster une mouche de mai, Ephemera danica  ©Joël Tribhout

Une Caloptéryx vierge femelle, Calopterys virgo, s’apprête à déguster une mouche de mai, Ephemera danica ©Joël Tribhout

J’ai pu passer de longs moments à  immortaliser ces rencontres avec les Libellules Sympétrum fascié, Sympétrum écarlate, Æschne mixte, Æschne affinés, Anax Parthenope, Anax empereur mâle et femelle, Cordulégastre, Crocothémis écarlate, Libellule à quatre taches, mais aussi Demoiselles Caloptéryx vierges ou éclatants (Caloptéryx qui signifie  en grec « belles ailes »), Agrion jouvencelle ou Petite Nymphe au corps de feu, etc.

Certaines de ces rencontres que je qualifie de jouissives et inspiratrices, je les ai transformées en poésies.

Quel beau spectacle que de regarder voler une libellule quand, au-dessus d’une roselière, elle défend son territoire où elle chasse en plein vol pour attraper ses proies telles que moustiques, papillons, mouches.... Parfois elle les déguste en plein vol coincées entre ses pattes ravisseuses, parfois elle se pose. Un détail très important concerne ses 6 pattes :  elles lui servent à s’accrocher à un support mais jamais pour marcher.

Une fois accrochée la femelle de la Petite Nymphe au corps de feu, Phyrrhosoma nymphula, va former le « cœurcopulatoire » ©Joël Tribhout

Une fois accrochée la femelle de la Petite Nymphe au corps de feu, Phyrrhosoma nymphula, va former le « cœurcopulatoire » ©Joël Tribhout

Dans la vie de la libellule qui ne dure que le temps d’un été, il y a trois phases auxquelles il faut absolument assister. Ce sont l’accouplement et la ponte, puis l’émergence.

Aux heures chaudes de la journée et sous un soleil ardent, le bal des accouplements commence. Certaines libellules s’accouplent cachées dans la végétation, d’autres posées sur un roseau , ou encore en plein vol. Lors de cet acte, il est très facile de les approcher pour les photographier car trop occupées à leur affaire.

Ce sont les Demoiselles, Agrions ou Nymphes, qui réalisent la plus belle figure en forme de cœur. L’accouplement peut durer de 5 à 30 minutes, voire plus.

Attention danger pour ce couple d’Agrions, Coenagrion sp., lors de la ponte, un Gerris surveille ©Joël Tribhout

Attention danger pour ce couple d’Agrions, Coenagrion sp., lors de la ponte, un Gerris surveille ©Joël Tribhout

Il faut savoir qu’au stade adulte (imago), dans la vie de tous les insectes, il n’y a qu’une seule finalité qui est la reproduction pour la survie de l’espèce.

Une fois la fécondation terminée le couple reprend son vol et cherche un endroit propice à la ponte.

Ce moment est souvent crucial pour L’Odonate car le danger est partout, surtout que cela se passe dans un milieu aquatique et que de nombreux prédateurs sont à l’affût, telles les grenouilles.

Il n’est pas rare de voir chez certaines espèces le mâle qui reste accroché à la femelle lors de la dépose des œufs soit en position verticale (Agrions jouvencelles),

Ponte d’Anax Parthenope ou A. napolitain), Anax parthenope,  dans la Seine ©Joël Tribhout

Ponte d’Anax Parthenope ou A. napolitain), Anax parthenope, dans la Seine ©Joël Tribhout

soit posé sur des algues de la Seine, ici un Anax Parthenope,

Accouplement en vol de Sympetrum avant la ponte ©Joël Tribhout

Accouplement en vol de Sympetrum avant la ponte ©Joël Tribhout

soit en vol stationnaire ou en mouvement quand la femelle claque l’extrémité de son abdomen à la surface de l’eau pour y déposer ses œufs.

Ponte de l’Anax Empereur, Anax imperator ©Joël Tribhout

Ponte de l’Anax Empereur, Anax imperator ©Joël Tribhout

Ponte de l’Æschne bleue femelle, Aeshna cyaneia ©Joël Tribhout

Ponte de l’Æschne bleue femelle, Aeshna cyaneia ©Joël Tribhout

D’autres variétés comme la femelle de l’Anax empereur préfèrent être seules et percent les végétaux immergés avec leur ovipositeur.

En juillet 2017, J’ai pu assister à une scène surprenante entre un Anax empereur femelle et une grenouille verte. Alors que l’Anax venait de pondre, il se déplaça de quelques mètres au-dessus de la roselière pour reprendre sa ponte. Il commença son travail à seulement quelques centimètres de la grenouille à moitié immergée. Cette dernière sortit sa longue langue collante et pris la libellule dans sa bouche. Elle se débattit si vigoureusement qu’elle ressortit très vite de ce piège. Cette scène m’a inspiré la poésie « la libellule et la grenouille ».

Lorsque l’été s’en ira, la plupart des espèces vont disparaitre. Il n’est cependant pas rare en novembre de voir les dernières libellules voler, leurs couleurs sont ternes et les ailes commencent à se déchirer.

La deuxième étape est aquatique.

L'étape suivante sera aquatique.

Nous verrons dans la deuxième partie de cet article ce qu'il advient de la ponte de ces odonates.

A suivre

Joël Tribhout (texte et photos)

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