Publié le 23 Août 2020
Parcourant mes vieux grimoires, je tombe sur un article titré Le Papillon décrit par Linné dans une revue L’Amateur d’Histoire naturelle publiée en 1905, plus précisément dans le n°5 daté 10 novembre de la première année de parution.
Le directeur de la revue est Alphonse Labitte (1852-1934) - poète, journaliste, enlumineur et entomologiste - dont j’ai eu l’occasion d’étudier la bibliographie et la biographie. Elle est présentée dans la revue Insectes de l'OPIE (n°191 - 2018 (4).
Il a fondé cette revue mensuelle plus particulièrement à l’attention des enfants pour leur faire comprendre et aimer la nature en y traitant de botanique, de biologie, de géologie, par des mots simples à leur portée.
Malheureusement pour des raison manifestement financières sans doute par manque d'abonnés, il n'y aura pas de suite à ce numéro 5. Dommage les premiers numéros laissaient augurer de beaux articles de vulgarisation par des rédacteurs compétents.
Le but que se fixe la revue est précisé dans le numéro 1 du 10 juillet 1905 :
"Nous suivrons les regards de l'enfant étonné et nous chercherons à répondre à tous ces pourquoi qui se pressent sur ses lèvres, dès qu'il commence à contempler le merveilleux spectacle qu'il a sous les yeux. […]
S'il cueille une fleur au bord d'un sentier, nous l'examinerons avec lui et nous lui révèlerons la finesse et l'étonnante complication de ses tissus. Le brin d'herbe nous dira son secret, ce secret de la vie qui, dans ses manifestations les plus humbles, demeure encore la plus belle leçon que nos cœurs puissent apprendre. "
"Lorsque son regard amusé suivra la marche lente du colimaçon, la course fiévreuse de la fourmi ou le vol insouciant du papillon, nous lui parlerons des insectes, de l'existence qu'ils mènent et du rôle extraordinaire que jouent ces êtres en apparence insignifiants dans l'immense nature. La fourmilière ne sera plus pour lui le petit tas de terre, ou l'on donne un coup de pied en passant, mais la cité merveilleuse où chacun accomplit silencieusement sa tâche, dans l'intérêt de tous.
Il ne verra plus dans l'abeille la vilaine bête qui pique, mais l'étonnante ouvrière qui ne se lasse jamais d'aller puiser dans les fleurs les sucs capiteux, qu'elle transforme ensuite en miel, Nous lui montrerons l'usine où ce travail s'opère, la ruche laborieuse, chef-d'œuvre de patience et d'organisation. Mais nous ne nous contenterons pas seulement de faire appel à l'intelligence de l'enfant, nous parlerons encore à son cœur. Nous lui inspirerons le respect de tous les animaux qui l'entourent, et nous lui répéterons souvent qu'ils ne sont pas de simples jouets, mais des serviteurs utiles, qu'il faut traiter avec bonté. Etc."
Mais venons-en à cet article sur le papillon où le rédacteur fait parler Linné.
"Regarde, s'écrie Linné qui se montrait poète à force d'être savant, regarde les grandes ailes, si élégantes et si richement peintes du papillon ; elles sont au nombre de quatre, et couvertes de petites écailles comme de plumes délicates. A l'aide de ces ailes, il se soutient dans l'air tout un jour ; il rivalise avec le vol de l'oiseau, avec le luxe du paon. Considère l’insecte dans sa marche à travers la vie ; combien il diffère, dans la première période, de ce qu'il sera dans la seconde, et combien ces deux états diffèrent de ce que sont les auteurs de ses jours !
"Ses changements sont pour nous une énigme inexplicable : nous voyons une chenille verte, avec seize pieds ; elle se nourrit des feuilles vertes des plantes ; plus tard, elle se change en chrysalide lisse, d'un lustre doré, qui se suspend à un point fixe, qui vit sans pieds et qui subsiste sans nourriture. Cet insecte subit encore une autre transformation, il acquiert des ailes, il a maintenant six pattes, il devient un gai papillon, s'ébattant dans l'air et vivant par voie de succion sur le miel des plantes. La nature a-t-elle produit un être plus digne de notre admiration que cet animal venant sur la scène du monde et y jouant son rôle sous tant de masques différents ? "
"Les anciens étaient si frappés des transformations du papillon, de sa renaissance - à la suite d'une mort apparente - qu'ils l'avaient considéré comme l'emblème de l'âme. Le mot grec psyché signifie à la fois âme et papillon et c'est pour cette raison que cet insecte figure dans les emblèmes allégoriques comme un symbole d'immortalité. Devant cette description ravissante un poète contemporain écrivit ces vers sur le papillon :"
"Le Papillon
Un papillon voltigeait dans l'espace
Léger, brillant, habillé de vermeil ;
Il s'élevait ou planait avec grâce,
Ivre d'azur et grisé de soleil.
"Je contemplais la divine sveltesse
De son corps ceint des plus vives couleurs :
Avec quel art, avec quelle prestesse
Il effleurait, en passant, quelques fleurs !
Mais il semblait dédaigner les plus belles
Et s'éloignait par bonds capricieux ;
Puis, éployant ses magnifiques ailes
Il reprenait sa course vers les cieux. "
"II s'élevait, il s'élevait sans cesse
Trouant l'azur de ses antennes d'or,
Montant toujours comme avec allégresse,
Disparaissant pour reparaitre encor...
……………………………………………………..
Ce n'était plus qu'une petite flamme
Qui s'éteignit dans un dernier rayon,
Et je me dis : c'était peut-être une âme
Qui s'envolait avec ce papillon !"
N.d.R. Je vous avoue ne pas avoir trouvé le poète contemporain, auteur de ce poème. Je soupçonne qu’Alphonse Labitte en soit lui-même l’auteur, mais ce poème ne figure pas dans les œuvres éditées.
Mais reprenons l’article où nous l’avons laissé.
"Mais achevons de laisser parler Linné :
« Si insignifiante donc, peut-être si méprisable que puisse sembler, à ceux qui ne réfléchissent pas, l'étude d'un papillon, ce n'est pas, il s'en faut de beaucoup, un être insignifiant. Comment ne point être saisi d'étonnement et d'admiration quand on considère l'art déployé dans le mécanisme d'une si mince créature. - Les fluides circulant dans des vaisseaux si petits qu'ils échappent à la vue ; la beauté des ailes et la peinture qui les recouvre - enfin, la manière dont chaque partie se trouve adaptée à des fonctions particulières ! C'est le cas de nous écrier avec Paley: « l'idéal de la beauté était aussi bien présent dans l'esprit du créateur quand il peignit un papillon que lorsqu'il donna la symétrie à la forme humaine. »
A.L. de Camprémy"
Commentaires
Paley cité ici est probablement William Paley (1743-1825), un théologien anglais dont les écrits ont fortement influencé Charles Darwin. La citation est peut-être tirée de Théologie naturelle ou Preuves de l'existence et des attributs de la divinité, tirées des apparences de la nature, paru en Angleterre en 1802, en 1813 en France. Nous reviendrons ientôt sur les écrits de William Paley à propos des insectes.
Quant à A. L. de Camprémy, il n’est autre qu’Alphonse Labitte lui-même. Il a pris ce pseudonyme pour certaines de ses œuvres de chansonnier et pour quelques articles de la revue, y compris le courrier des lecteurs. Camprémy, dans l’Oise, est le village d’origine de son père.
Roger Puff